Montréalaise, poète, marcheuse, Denise Desautels s'est déjà définie comme «une archéologue de l'intime» et une «écrivaine de la douleur». Depuis le début des années 80, son oeuvre poétique se décline en recueils, livres d'artiste, récits, correspondances et dramatiques radiophoniques. Son plus récent recueil, Sans toi je n'aurais pas regardé si haut, a été publié en 2013 aux éditions du Noroît.

En tant qu'écrivain, est-ce que vous considérez Montréal comme une ville qui nourrit l'inspiration?

Je suis née à Montréal, dans le Plateau Mont-Royal des ouvriers, qui est celui de Michel Tremblay. J'ai grandi près du parc La Fontaine, un lieu où j'ai passé presque toute ma vie, qui reste très important dans ma vie comme dans mon travail d'écriture et que je décris dans mon dernier recueil Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut. Dans ce livre, il y a aussi plusieurs photographies du parc que j'ai prises, qui rendent compte de mon regard sur ce lieu.

Il y avait la montagne aussi, le mont Royal, où nous allions parfois, mais qui représentait «l'étranger», l'autre côté de la frontière du boulevard Saint-Laurent, soit le Montréal des Anglais. Et il y avait aussi le centre-ville, où nous allions magasiner, en particulier le grand magasin Simpson.

Décrivez votre appartenance à la francophonie.

Dans le milieu où j'ai grandi, on parlait un français très pauvre. Par contre, ma mère et mes tantes avaient ce souci de faire en sorte que nous nous exprimions dans une langue correcte.

Chaque année, je séjourne à Paris quelques semaines, attirée là sans doute au départ par une littérature et une histoire que, à la suite de mes études dans un collège classique, juste avant l'arrivée des cégeps, je croyais miennes... parce que tout s'y passait en français. Un certain français auquel je me suis souvent heurtée d'ailleurs dans la vie quotidienne. Avec le temps, il m'a fallu lutter contre moi-même pour ne pas me percevoir comme le pôle déficient. (Pour me percevoir enfin comme américaine aussi, mais c'est une autre histoire.) Pour comprendre qu'existent plusieurs langues françaises, fondamentalement très semblables, mais juste assez différentes pour que se produisent fréquemment de grands et douloureux malentendus.

Pensez-vous que le français que l'on écrit et que l'on parle à Montréal évolue en s'ouvrant sur le monde?

«Quand il est question de nommer la vie tout court, nous ne pouvons que balbutier», c'est le titre qu'Anne Hébert avait donné à un texte publié dans Le Devoir en 1960. J'avais 15 ans.

Je réponds donc oui, sans hésiter. Aujourd'hui cette ville que j'habite et que j'aime passionnément est plus diversifiée, multiethnique, polyphonique. Et la langue qu'on y parle, plus précise, plus nuancée, pleine de couleurs et de possibles qu'avant et ainsi plus accueillante, notamment au féminin, que partout ailleurs. Cela dit, je reste lucide. Il m'arrive souvent de penser que parler français sur ce continent où près de 400 millions de personnes s'expriment d'abord en anglais - dont quelques-unes, tout de même assez nombreuses, vivent à Montréal -, c'est un miracle... ou une aberration. Resurgit alors en moi une inquiétude liée, entre autres, au fait que, comme «fille de l'Est», pour reprendre l'expression de Michel Tremblay, j'écris, un peu inconfortable par moments, une langue acquise, que je ne cesse comme poète, préoccupée par la pensée et toujours en quête d'un sens qui ne cesse de se dérober, de vouloir enrichir, fouiller, ouvrir pour mieux en jouer, et ce multiplement.

À votre avis, quels sont les auteurs «phares» de la littérature montréalaise, à l'heure actuelle?

Je pense spontanément à Nicole Brossard, France Théorêt, Louise Dupré, Catherine Mavrikakis, Michel Tremblay. Et évidemment Anne Hébert (la première) ainsi que Marie-Claire Blais et Madeleine Gagnon.

Qu'est-ce qui relie la littérature montréalaise à celle des autres lieux de la francophonie?

Je suis une urbaine qui aime les grandes villes. Or étrangement je n'ai jamais pensé la littérature à laquelle j'appartiens comme étant «montréalaise». Le Montréal des écrivains se rend ailleurs et l'ailleurs vient vers nous par l'entremise d'une langue qu'on partage et à travers laquelle nos univers recréés se promènent d'un lieu francophone à un autre. La complexité - souvent douloureuse - du monde dans ce qu'il a de plus intime et de plus collectif, et dans les deux cas, de plus partageable.

En terminant...

Je me sens à la fois honorée et heureuse. Émue aussi, en repensant au premier Salon, celui de 1978, alors que j'avais déjà publié deux recueils de poésie aux Éditions du Noroît. Au cours de mes premières années, j'ai rencontré plusieurs poètes dont certains, certaines, avec le temps, sont devenus des amis. J'ai eu le bonheur de participer à des événements de toutes sortes. Je pense en particulier à des soirées-hommage - qui ont été de grands moments - consacrées à des poètes, Paul-Marie Lapointe, Madeleine Gagnon et Paul Chamberland, qui ont marqué mon écriture. Cette fois, j'y serai avec deux ouvrages récents publiés au Noroît: une traduction d'un recueil du poète catalan Antoni Clapés, L'architecture de la lumière, et Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut. Tableaux d'un parc, un livre en forme de lettre d'une mère à son fils. Un livre, 36 ans plus tard - quel beau hasard! -, traversé par la question de la transmission...

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Denise Desautels participera à Exercices d'admiration, vendredi à 17 h, sur la scène Radio-Canada, à Confidence d'écrivain, samedi à 16 h, à la Place Confort TD, ainsi qu'à trois tables rondes à l'Espace Archambault: La bibliothèque des auteurs, samedi à 14 h 30, Maternité et création, dimanche à 11 h 30, et Existe-t-il une «écriture féminine»?, dimanche à 15 h 30.