Plus de la moitié des Québécois ne maîtrisent pas assez les mécanismes de la lecture pour l'utiliser de manière efficace, ce qui nuit à leur cheminement, mais aussi à toute la société québécoise. Une table ronde se tiendra d'ailleurs sur ce thème au Salon du livre de Montréal.

La Presse a posé quelques questions à l'auteure Catherine Voyer-Léger, qui participera à cette discussion où l'on tentera de trouver des pistes de solution pour contrer ce qui est parfois considéré comme l'analphabétisme moderne.

Comment peut-on améliorer le niveau de littératie des Québécois?

Nous avons tendance à poser la lecture comme un acte spécialisé (l'affaire de l'école, par exemple), mais l'idée est de pouvoir lire de tout, partout. Savoir lire est un immense outil d'autonomie, mais nous semblons souvent penser que le problème, c'est que les enfants et les jeunes ne lisent pas assez. Mais est-ce qu'ils voient des gens lire dans leur quotidien? Comme si, une fois qu'on avait appris à lire, cet outil était moins utile. C'est pour moi la clé: comme d'autres bonnes habitudes, celle-ci se prend par mimétisme.

De qui doit venir cet investissement dans la lecture?

Ça doit venir de partout. Dans les écoles, ça doit venir d'un contexte où les occasions de lecture sont partout. Ça doit venir d'un suivi en amont lorsque des retards en capacité de lecture se font sentir. Ça doit venir d'une valorisation du fait de lire. Il devrait y avoir le même naturel à faire part de ce qu'on a lu que ce qu'on a vu à la télé, mais bizarrement, ça ne se fait pas de la même façon.

Doit-on craindre la place de plus en plus grande que prend la vidéo dans les outils de communication?

Je ne crains pas que la vidéo nuise à la lecture. Au contraire, il y a une mode de jeunes critiques de livres qui font du vidéoblogue. Un média n'a pas à en tuer un autre, mais ils peuvent s'encourager. Pour le dire autrement, je pense qu'il faudrait changer la place que la lecture prend dans nos vies.

Et quel rôle doivent avoir les médias?

Ils peuvent promouvoir la lecture en l'insérant un peu partout, en faisant de la lecture quelque chose de banal. Par moments, le discours sur le livre tend en fait à quelque chose de sacré qui peut intimider les gens pour qui tout cela va moins de soi. Comme s'il y avait là un monde d'initiés.

Les nombreuses coupes qui touchent les médias peuvent-elles influencer directement cette absence de lecture au quotidien?

Oui, elles peuvent expliquer en partie le désengagement par rapport à la lecture. D'une part, les médias veulent aller à l'essentiel et considèrent rarement que la lecture en fait partie. D'autre part, la place de la littérature elle-même diminue. Souvent on trouve que ça n'attire pas assez de gens et, du moins dans les médias papier, la baisse des revenus publicitaires a grugé de l'espace. On entend souvent dire que le monde du livre doit continuer à acheter de la publicité pour conserver les pages sur les livres. Le monde du livre est-il le seul à devoir financer ainsi lui-même son propre espace?

Et du côté du milieu de l'édition, comment peut-on agir?

Spontanément, je ne pense pas que c'est le milieu de l'édition qui doit changer ses pratiques à cet égard. Contrairement à ce qu'on a beaucoup entendu dans le cadre du projet sur le prix unique du livre, je ne crois pas que c'est le prix des livres qui décourage la lecture. Il y a des bibliothèques, il y a des livres à tous les prix. Le milieu de l'édition québécois a déjà fait tellement de chemin. Au début des années 70, il se publiait une poignée de livres pour la jeunesse au Québec. Quarante ans plus tard, c'est plusieurs centaines!

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Lire: un enjeu de société - l'économie de la littératie, table ronde vendredi à 16h animée par l'essayiste Normand Baillargeon.

Qui est Catherine Voyer-Léger?

Chroniqueuse et auteure, Catherine Voyer-Léger publiera son troisième ouvrage au début de 2016 et collabore à plusieurs médias, à la fois écrits et radiophoniques. Outre l'écriture, elle coordonne l'Alliance culturelle de l'Ontario, préside le Théâtre de la Vieille 17 et est vice-présidente du Salon du livre de l'Outaouais.