La popularité du fantastique ne se dément pas. La preuve: deux tables rondes seront consacrées au sujet cette année, la première sur l'héritage du genre, et l'autre sur la place que les femmes y occupent.

Dans les années 80, la littérature fantastique a connu une révolution qui sous-tend sa popularité actuelle. The Mists of Avalon, de Marion Zimmer Bradley, a donné aux femmes une voix dans un secteur dominé par le péplum et les muscles.

«On a souvent une idée assez figée des littératures de l'imaginaire, explique Stéphane Marsan, l'éditeur de Bragelonne. Ça a énormément évolué. Depuis Les dames du lac de Zimmer Bradley, on voit les préoccupations des femmes. C'est une lame de fond qui a fait éclore de nombreux auteurs féminins et élargi le lectorat en attirant les adultes. Ensuite, ces auteurs ont amené une sexualisation de l'imaginaire. Les femmes partagent plus facilement sur les questions de sexe. On peut même dire que 50 Shades of Grey est une version de Twilight sans fantastique. La filiation est très claire.»

Comment se transpose cette sexualisation dans le contexte adolescent, où le fantastique est très populaire? «Le terme Young Adult, qui était au départ purement marketing, est finalement assez révélateur, dit M. Marsan. Ce sont des jeunes qui se posent déjà des questions d'adultes. La peur et le désarroi devant la première expérience sexuelle. Le lien entre le sexe et l'amour, la peur de la mort illustrée par le désir d'immortalité des adolescents, la peur de la perte des parents, des repères. Les questions sur le marché du travail, la crise, la drogue, le viol, la violence.»

Ce dernier point explique-t-il la vogue des dystopies comme Hunger Games? «Le terme me fait sourire, dit M. Marsan. On l'utilise pour faire nouveau. Avant, on appelait ça anticipation ou science-fiction. Je ne suis pas sûr, d'ailleurs, qu'il y ait une vague de dystopies. Il n'y a aucune autre dystopie aussi populaire que Hunger Games. Et d'ailleurs, aucun livre de vampires aussi populaires que Twilight. Il n'y a pas de déplacement massif du lectorat. Ce n'est pas le succès du Seigneur des anneaux ou de Harry Potter qui fait que Bragelonne marche bien. C'est parce que le fantastique a toujours intéressé les lecteurs.»

Kelley Armstrong, une romancière ontarienne traduite chez Bragelonne, est d'accord jusqu'à un certain point avec M. Marsan. «Je pense qu'il y a un engouement pour le fantastique, mais je pense aussi que les éditeurs en ont trop fait, dit Mme Armstrong. Des livres de vampires ont été publiés juste pour profiter de la vague. Pour ce qui est de la dystopie, je crois que sa popularité reflète des inquiétudes réelles des jeunes d'aujourd'hui. Au-delà de la crise, il y a tous les changements technologiques. Comment vivrais-je sans réseaux sociaux? Sans cellulaire? Sans toute cette richesse?»

Pourrait-on donc faire un parallèle entre la vogue de la dystopie et le retour à la terre prôné par les baby-boomers dans leur jeunesse, en réponse à la nouvelle aisance matérielle de la société occidentale? «Oui, je pense qu'à chaque changement, on se demande ce qu'on laisse derrière, dit Mme Armstrong. Et à l'adolescence, ces questions se posent de manière particulièrement urgente.»

Le fantastique de London

Quand Kelley Armstrong était petite, à London en Ontario, elle passait des heures dans les bibliothèques à dévorer les sections des livres de référence qui traitaient des mythes et des superstitions. Depuis 2001, la romancière de 45 ans a pu progressivement abandonner son ancien métier de programmeuse grâce à la popularité de ses séries fantastiques Women of the Otherworld, Darkest Powers et Darkness Rising. «J'ai toujours voulu écrire pour les ados et pour les adultes, dit-elle en entretien téléphonique. Je fais un livre pour chaque catégorie chaque année. Après le paranormal, je me suis intéressée à la dystopie et au fantastique épique. D'ailleurs, mon prochain livre, qui sortira au printemps, se passera dans le Japon médiéval. Les autres séries de fantastique épique, comme Game of Thrones, ont plutôt lieu dans l'Europe médiévale.»

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Table ronde L'héritage du fantastique animée par Pierre Cayouette, vendredi à 15 h 30 à la Salle 5.

La figure féminine dans la littérature fantastique avec Kelley Armstrong, vendredi à 13 h 15 à l'Agora.