Le 36e Salon du livre de Montréal s'ouvre aujourd'hui. Cette année, l'un des invités d'honneur est le père du Gros monstre qui aimait trop lire, l'illustrateur québécois Roger Girard. Portrait.

En ce matin d'entrevue, avec son chandail rayé bleu et blanc, sa chevelure noire, mais surtout son regard qui se pose avec intérêt et surprise sur tout ce qui nous entoure, l'illustrateur québécois Rogé ressemble à Philémon, le héros des bandes dessinées de Fred!

Et comme Philémon, Rogé (alias Roger Girard) n'a pas peur de plonger dans des univers mouvants, imprévus - de quoi devenir invité d'honneur du 36e Salon du livre de Montréal.

Né à Saint-Hyacinthe il y a quelque 40 ans, étudiant à Québec, puis directeur artistique apprécié dans de grandes agences de pub à Montréal, Rogé décide en 2000 d'abandonner la publicité... afin d'écrire et d'illustrer des livres pour enfants!

Mais au bout d'une vingtaine de livres très bien reçus et de nombreuses reconnaissances - plus trois mois comme coopérant en République dominicaine -, que fait Rogé?

Il abandonne le dessin coloré, vif et enfantin qui a fait sa renommée! Et se tourne, en 2011, vers un tout autre style d'illustration: des portraits d'enfants, tout en frémissements et en nuances. Plus de Gros monstre qui aimait trop lire (un de ses succès en librairie), plutôt des petits enfants qui aiment écrire.

Car ces portraits d'enfants accompagnent des poèmes écrits par d'autres enfants, qui vivent à Camp-Perrin (sud d'Haïti) ou sur la Côte-Nord. Et les beaux livres Haïti mon pays, puis Mingan mon village (aux éditions La Bagnole), comme tout ce que touche Rogé, deviennent des succès, dans toute la francophonie.

Parce que les poèmes sont vraiment très beaux. Les portraits tout autant. Prix et nominations se multiplient, d'ailleurs: sélection internationale White Ravens, prix Lux (Québec), prix Saint-Exupéry (France), prix Applied Arts (Canada), finaliste au prix du Gouverneur général, nomination aux prix TD, etc.

Et comme un bonheur ne vient jamais seul, les droits d'auteur des poèmes sont versés aux communautés dont sont issus les enfants.

Le papa de Clara

A-t-on précisé, à travers tout cela, que Rogé habite depuis trois ans les Îles-de-la-Madeleine, avec sa blonde médecin et leur bébé, une petite Clara de quatre mois «qui fait presque ses nuits»?

«Il y a tellement de hasards dans ma vie, explique l'illustrateur.

«Prends par exemple Haïti mon pays. Après le tremblement de terre de 2010, j'ai cherché ce que je pouvais faire pour aider. Je m'apprêtais à déménager aux Îles, j'avais un projet d'exposition, je voulais dessiner autrement.

«Je vois alors un reportage télé sur Paul Gérin-Lajoie et l'importance des écoles en Haïti. Et j'ai l'idée: je vais faire des portraits d'écoliers haïtiens. Ils sont beaux, toujours peignés avec soin, habillés avec élégance, cela donnera une image souriante et différente d'Haïti. J'ai donc dessiné d'après des photos d'enfants qu'avait faites une amie là-bas.»

Par hasard, il parle de son projet à Jennifer Tremblay, des éditions La Bagnole, qui lui explique, ébahie, qu'elle vient justement de recevoir des poèmes d'enfants haïtiens! Écrits avant le séisme, il lui ont été remis par Perpétue Sulney, enseignante qui vit à Montréal, mais passe tous ses étés en Haïti afin d'y organiser des ateliers de poésie et de lecture pour les enfants. Ainsi est né Haïti mon pays.

Beaucoup de ciel

C'est une autre heureuse coïncidence qui a présidé à Mingan mon village.

«Depuis longtemps, raconte le papa de Clara, je voulais en savoir plus sur les nations autochtones, et comme je connaissais [la poète innue] Joséphine Bacon, je lui envoie un courriel pour lui demander si on ne pourrait pas faire le même genre de projet qu'avec Haïti.

«Au même moment, mon éditrice, Jennifer, est dans un avion qui l'amène au Salon du livre de Sept-Îles... en même temps que Joséphine, et elles se sont donc parlé!» Des poèmes ont été écrits. Des portraits, dessinés. Ainsi est né Mingan mon village.

Si les poèmes des enfants d'Haïti sont gorgés de terre nourricière, ceux des enfants de la Côte-Nord le sont beaucoup de ciel, de grands-parents, de mort aussi, mais sans tristesse, comme si la mort était juste un peu plus d'espace...

L'appel de l'écriture

Bien qu'il travaille actuellement à illustrer un troisième volume de poèmes d'enfants, Rogé, lui, continue de... changer. Il fignole un livre sur les Îles-de-la-Madeleine, pour les éditions madeleiniennes La morue verte.

Mais surtout, l'illustrateur écrit de plus en plus: «Parce que j'aime ça de plus en plus, explique-t-il. J'ai déjà écrit et dessiné sur la mondialisation (La vraie histoire de Léo Pointu, 2008), sur la quête du bonheur (Le roi de la patate, 2010). Là, je viens de finir l'écriture d'un texte sur l'état du monde, qui est aussi un éloge de la différence. Il ne me reste plus qu'à l'illustrer!»

Extrait Haïti mon pays

J'aime...

Une fleur, un fruit, une chaumière, un homme

Une multitude de choses

Une couleur mauve

Une petite maison de paille

Un oiseau rouge sur mon toit

Un flamboyant

Une belle floraison mauve jaune, rouge rose

Une fleur, un bouquet de fleurs

Une figue banane verte

Une fenêtre verte

Une chaumière de pierres

Une mangue rouge, une autre verte

Une campagne verdoyante et ornée

Une racine de vie

Une vie meilleure

Un pays

- Janaïe Orgella

Au Salon du livre aujourd'hui

«L'intimidation est vraiment quelque chose que j'ai vécu, quand les filles de ma classe ont décidé de dire que j'étais grosse et ceci et cela. C'est l'année où j'ai réalisé que les pas fines existent.» - Fanny Britt en entrevue, lauréate du prix GG 2013, auteure de Jane, le renard et moi, au salon aujourd'hui à 10 h 30 avec Isabelle Arsenault.

Réédition

À la faveur du 36e Salon du livre, La Bagnole réédite aussi deux livres illustrés par Rogé pendant sa «période colorée»: Le Tyrano de Bergerac et Le Tyrano nez rouge, d'adorables «préhistoires» de dinosaures au nez très particulier, à l'intention des tout-petits. Les textes sont du mentor de Rogé, Gilles Chouinard, à qui est d'ailleurs dédié Mingan mon village.