En seulement deux romans, Ru et Man, Kim Thuy est devenue l'une des écrivaines préférées du lectorat québécois. Son premier roman, couvert de prix, a été traduit dans une vingtaine de pays.

De la littérature, on a souvent dit qu'elle permet de voyager sans sortir de chez soi. Est-ce selon vous le meilleur moyen, à la portée de tous, pour découvrir le monde?

Oui, absolument! Surtout dans mon cas. Je suis quelqu'un qui a peur de tout et qui est facilement effrayé. Si on ne m'avait pas donné la vie que j'ai, je n'aurais jamais franchi le seuil de la porte de ma maison. Les livres me suffisaient et me suffisent encore amplement. Mais, par pur hasard et pure chance, je voyage énormément depuis toujours. Ma grande amie Marianne vous dira qu'elle s'inquiète toujours quand je prends l'avion parce que je me perds très facilement. Par contre, elle vous confirmera aussi que je me perds encore plus dans mes livres. Quand j'aime un livre, il devient ma bible. J'y plonge corps et âme et dans ce cas, il m'offre non pas seulement une ville ou un pays, mais bien un univers tout entier.

À quel pays ou à quelle culture appartient véritablement un écrivain, à votre avis? La littérature est-elle un «autre pays»?

Oui, un écrivain appartient aux pays/aux univers/aux cultures qu'il a réussi à créer. Quand on aime un livre, on croit que les personnages sont «vrais», ou qu'ils existent vraiment même lorsqu'ils ont des cornes sur la tête. De même pour les lieux où les histoires prennent place. Ces endroits ont un point géographique sur une carte même si cette carte est imaginaire. Quand le ton est juste, on tend même à croire que l'auteur est le personnage et habite les lieux de son livre. Je me souviens d'avoir lu sur Sophie Bienvenu après avoir lu Et au pire on se mariera, car j'étais convaincue qu'elle avait l'âge et le vécu du personnage principal.

Quels auteurs vous ont fait découvrir des cultures que vous ne connaissiez pas ou ont élargi votre vision du monde?

Milan Kundera m'a fait découvrir l'Europe de l'Est et aussi le communisme alors que Marguerite Duras m'a donné un nouvel angle sur l'Indochine et le Vietnam. Alessandro Barrico m'a fait voyager de la France jusqu'au Japon en passant par la Russie.

Selon vous, qu'est-ce qu'un lecteur apprend sur lui-même quand il se rend au bout d'un livre?

Un livre qui me parle me rassure sur le fait que je ne suis pas la seule au monde à ressentir l'urgence d'une passion, l'euphorie d'un bonheur, la tristesse d'une fin du monde, la folie d'un désir, l'immensité d'une absence.... The Economist a justement publié un article sur les «livres-thérapies», plus spécifiquement la lecture comme moyen de thérapie. Selon le besoin de chaque cas, un livre est recommandé.

Un salon du livre offre l'occasion de rencontrer les écrivains. Pourquoi, à votre avis, les lecteurs ont-ils envie de voir en chair et en os ceux qu'ils lisent? Que retirez-vous vous-même de ces rencontres?

Dans mon cas, quand j'aime les mots d'un livre, j'ai le désir de voir les doigts qui les ont écrits. Par contre, je suis de ceux qui préfèrent admirer mes auteurs fétiches de loin, craignant qu'en croisant leur regard, je voie le secret, ou le début du secret, du tour de magie qu'ils m'ont offert dans les pages. Égoïstement, j'adore rencontrer les lecteurs et tenir dans mes mains le livre avec l'empreinte des mains qui l'ont porté. Le livre devient alors vivant, tridimensionnel, enrichi de leur interprétation des mots.

Votre premier roman Ru, qui raconte votre arrivée au Québec, a été un immense succès. Quelle sorte de voyage a été pour vous l'écriture de ce roman?

Je ne suis jamais aussi immobile que pendant l'écriture. J'écris en figeant des images du film qui tourne dans ma tête pour les observer sous plusieurs angles, ou si possible en faisant un tour de 360¿. Pendant l'écriture, je ne voyage pas, je vis. Je vis non pas chacune des minutes de l'histoire, mais chacun des détails de chacune des images afin de saisir et d'interpréter leurs sens. J'aime croire que j'examine ces détails comme un archéologue qui étudie les traces laissées sur les os d'un squelette pour déterminer son métier, ses blessures, mais aussi la signification de son dernier geste.

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Kim Thuy répondra au Questionnaire Archambault jeudi à 18h45 au stand Radio-Canada, participera à Confidence d'écrivain vendredi à 16h au Carrefour Desjardins, et à deux tables rondes: L'écriture poétique dans le roman, samedi à 12h30 à l'Espace Archambault, et L'art du récit, dimanche à 13h30 à l'Espace Archambault.