Invité d'honneur du Salon du livre, Laurent Gaudé, qui a remporté le Goncourt en 2004 avec Le soleil des Scorta, défend cet automne Pour seul cortège, faux roman historique qui raconte les semaines suivant la mort d'Alexandre le Grand, porté par le souffle épique qui a fait sa marque.

Alors que la saison des prix littéraires bat son plein en France, Laurent Gaudé observe tout cela avec émotion. «Dès que le nom de gagnant du Goncourt est proclamé, je sais que sa vie va instantanément changer, dit l'auteur, qui a combattu sa peur de l'avion pour ce premier séjour à Montréal. Ça me rappelle de beaux souvenirs.» Il était particulièrement touché cette année puisque Jérôme Ferrari, qui a remporté le Goncourt avec Le sermon sur la chute de Rome, est un de ses amis, et que Rue des voleurs de Mathias Énard, un autre copain, s'en est approché.

«Ce sont deux auteurs de ma génération dont je me sens près, avec qui j'ai en commun d'ouvrir les yeux sur le monde. On n'est plus dans le nouveau roman ni dans l'autofiction, et c'est bon pour la littérature française.» Laurent Gaudé, qui est aussi auteur de théâtre, aime alterner entre des oeuvres qui, comme Pour seul cortège, parlent de «l'Antiquité imaginaire», et des sujets très contemporains: Ouragan se passait à La Nouvelle-Orléans pendant Katrina, Eldorado traitait d'immigration clandestine.

«Je ne veux pas être obligé de réagir au monde tout le temps. Mais ce monde est passionnant pour l'auteur que je suis.» Alors qu'il a souvent créé des personnages ordinaires pris dans la tourmente de l'Histoire, Pour seul cortège fait le contraire puisqu'il s'est attaqué à une immense figure historique en la personne d'Alexandre le Grand. «J'ai surtout trouvé ça stimulant. C'est un matériau merveilleux, la dramaturgie est déjà là, je n'avais presque plus rien à faire!»

Le plus difficile aura été de s'éloigner du «roman historique», de la chronologie et de la véracité des événements. «L'idée n'était pas de dire au lecteur: viens, je vais te dire ce qui s'est passé. Au contraire, je voulais raconter des choses impossibles.»

Ainsi, un chevalier sans tête hante le roman, les morts parlent et guident les vivants, et la finale, avec son armée de fantômes, est phénoménale. Laurent Gaudé a pris un plaisir fou à décrire ce genre de scènes épiques, comme le cortège des pleureuses, et à inventer la vie de personnages comme Dryptéis, reine déchue qui veut s'extirper des griffes du monde. «Elle a existé, mais on ne sait à peu près rien d'elle. Comme Alexandre, il y a plein de trous dans son histoire, c'est déjà décollé de la réalité. Je n'aurais pas pu faire ce livre avec De Gaulle par exemple, tout le monde me serait tombé dessus...»

Résonances

Sans faire un mouvement de balancier entre le passé et le présent, Laurent Gaudé voit dans son roman des résonances avec aujourd'hui. «Quand on regarde les lieux où Alexandre est allé, le Pakistan, l'Afghanistan il est allé à Kaboul! , on voit qu'il était loin du choc des civilisations véhiculé par Bush.» Et l'importance de la dépouille, que Dryptéis transporte incognito et que tous ses successeurs potentiels convoitent, nous ramène à une symbolique toujours aussi importante aujourd'hui. «On l'a vu en Union soviétique, avec Che Guevara, avec ben Laden: le corps reste un enjeu politique.»

Laurent Gaudé ne cesse donc jamais d'observer le monde et s'intéresse peu au «confort et à l'opulence tranquille» de l'Occident même s'il apprécie y vivre. «Mais avec la crise en Europe, je sens que les sujets se rapprochent de moi», dit celui qui estime que l'autofiction n'est pas «dans sa palette» et qui se dit contre l'idée qu'un livre doive absolument «révéler» son auteur. «Il me semble que ça réduit la richesse romanesque. L'auteur est une présence, et son rôle est de regarder par la fenêtre.»

Est-il possible de ne pas être pessimiste en observant ce monde qui vacille? «C'est vrai que mes romans ne sont pas très optimistes, mais ils ne sont pas désespérants non plus. Je veux toujours faire voir la force de l'homme. Je plonge mes personnages dans des situations qui les heurtent, mais ils se tiennent debout. J'ai envie de célébrer cela: oui il y a des vies sacrifiées, oui c'est terrifiant, mais regardez aussi comme les hommes sont beaux.»

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Pour seul cortège. Laurent Gaudé. Actes Sud/Leméac, 186 pages.