Ce n'est pas un hasard si deux des trois romans de Marina Lewycka, invitée d'honneur cette année au Salon du livre, sont centrés sur la vieillesse. L'un des points d'orgue de sa longue vie de pigiste a été la rédaction de trois manuels de soins au troisième âge pour une ONG qui s'occupait de cette question.

«J'ai eu ce contrat dans les années 90», explique l'auteure britannique de 65 ans, qui est devenue une étoile littéraire du jour au lendemain en 2005 avec son best-seller Une brève histoire du tracteur en Ukraine - publié ici en 2008 chez Alto. «Ça m'a beaucoup appris sur la vieillesse. Je me suis rendu compte combien on parlait peu des vieux. Alors j'ai décidé d'avoir des personnages âgés dans mes romans.»

Son plus récent livre, son troisième, Des adhésifs dans le monde moderne, suit une femme qui, après un divorce-surprise, découvre la complexité du conflit en Terre sainte à travers les yeux d'une vieille juive et d'ouvriers palestiniens. Le personnage principal est un clin d'oeil à sa propre vie pré-Tracteurs: elle rêve d'écrire des romans, mais doit se contenter d'écrire pour une revue spécialisée en colles industrielles. Le titre fait aussi référence à la fabrication de colle par les nazis à partir des restes de leurs victimes des camps d'extermination.

«J'ai toujours écrit», explique Mme Lewycka, jointe au Yorkshire, à trois heures au nord de Londres. «Quand j'ai pris ma retraite de chargée de cours à l'Université de Sheffield, j'avais droit à un cours gratuit. J'ai pris un cours d'écriture. J'avais l'intention d'écrire sur ma mère, mais le professeur trouvait que je n'avais pas assez de notes. Alors j'ai plutôt écrit sur mon père. Ç'a donné les Tracteurs.»

Son premier roman était en partie autobiographique: ses parents sont des réfugiés ukrainiens qui se sont retrouvés en Angleterre à cause d'un accident de l'histoire. «Je suis née dans un camp de réfugiés à Kiel en Allemagne, en zone anglaise. Normalement, comme mes parents sont de l'est de l'Ukraine, nous aurions dû être rapatriés en URSS. Mais mon grand-père était officier dans l'armée tsariste et se trouvait en Pologne quand ma mère est née. Alors mes parents ont pu aller en Grande-Bretagne. Ma vie aurait été complètement différente sans cela.»

Peut-être à cause de cet accident de l'histoire, Mme Lewycka est fascinée par le hasard. «J'aime examiner la réponse des humains aux événements qui les dépassent. Dans mon livre, les Palestiniens et les Juifs apprennent à vivre ensemble une fois que la pression du conflit est levée. Leur haine est en quelque sorte un accident de la géographie.»

Au cours des dernières années, Mme Lewycka a pu mener à bien son projet d'écrire sur sa mère, avec une nouvelle autobiographique touchante publiée dans Ox-Tales. Elle a aussi publié une nouvelle intitulée Business Philosophy dans Freedom, recueil célébrant le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, publié par Amnistie Internationale. «J'ai raconté une histoire vraie de trafic d'êtres humains. C'était horrible.»

Son prochain livre porte sur une famille gauchiste dont l'un des fils devient banquier. «Ils ont vécu dans une commune et sont scandalisés par les choix de leur fils, dit la romancière. Mais ils cherchent à le comprendre, à se rapprocher de lui. Quoi qu'on fasse, quelles que soient nos convictions, nos enfants restent nos enfants. En ce moment, ma fille unique est enceinte de son premier enfant. Ça m'a beaucoup rapprochée d'elle.»

Monica Lewycka sera en séance de dédicace aujourd'hui, demain et dimanche au stand d'Alto (270), et elle se confiera à Gilles Archambault ce soir à 18h30.