Pour les écrivains, qui ont plutôt l'habitude de travailler en tête à tête avec eux-mêmes, les rencontres avec le public peuvent être tantôt réjouissantes, tantôt remuantes, parfois difficiles, quand les visiteurs se font rares... À l'occasion du Salon du livre de Montréal, voici quelques-unes de ces histoires touchantes, drôles ou étonnantes, telles que vécues par des auteurs, dans leurs mots, un peu comme dans un roman.

GEORGES-HÉBERT GERMAIN, PRÉSIDENT D'HONNEUR DU SALON

Au Salon du livre, les auteurs signent des livres, bien sûr, mais aussi des signets, des bouts de papier, des factures, des reçus. Un jour, Dany Laferrière s'arrête au stand où je suis en séance (et en attente) de signatures, et me raconte, hilare, l'anecdote suivante. Comme il entrait à la Place Bonaventure, une dame et un monsieur lui ont demandé un autographe. Il n'avait ni plume ni papier. Le monsieur lui a tendu un stylo et un livre, Souvenir de Monica, qu'il a ouvert à la page de garde où Dany a vu la dédicace que je venais d'écrire à la dame. Plutôt que mon livre, il a paraphé un billet de faveur que lui a tendu un ami. La madame était contente.

ANNIE GROOVIE

Une jeune fille et sa maman s'approchent de ma table. En apercevant Léon, la jeune fille, toute excitée, s'exclame: «Regarde maman, il a juste un oeil, comme moi!» Voyant mon étonnement, la maman m'explique alors que sa fille Florence a eu un cancer et qu'elle a perdu l'usage d'un oeil. La petite s'empare aussitôt d'un livre de Léon et vient me serrer dans ses bras. Comment aurais-je pu imaginer cela en créant ce simple cyclope? Puis, on a pris une photo ensemble, je lui ai dédicacé son livre et elle est repartie tout sourire. Depuis, Florence et sa maman ne manquent pas de venir me saluer à chaque salon du livre, à Québec. Et il y a deux ans, la petite m'annonçait qu'elle avait finalement retrouvé la vue complète. Comme quoi on peut vivre toutes sortes d'émotions dans les salons du livre!

MARIE-HÉLÈNE POITRAS

Dans les salons, quand t'es à ton stand arrive inévitablement un moment où un fin finaud se pointe devant toi et te demande: «Me replaces-tu?» En général, la réponse est non, surtout que la plupart du temps, cette personne est sortie de son contexte. Souvent, c'est quelqu'un qui était dans ta classe en quatrième secondaire et de qui tu étais plus ou moins proche... Donc quand on me pose la question, souvent je réponds: «On n'allait pas au secondaire ou au cégep ensemble?»

Une fois, quelqu'un est arrivé au stand. Un gars de mon âge. Son visage ne me rappelait rien... Je m'attendais à ce qu'il me demande si je le replaçais.

Lui: Te souviens-tu d'Untel dans ton cours de *** à l'université, il y a quatre ou cinq ans?

MH: Oui, il était gentil, ce garçon. Je l'ai perdu de vue depuis.

Lui: Il a demandé à ce que je t'apporte ceci.

Il dépose un paquet mystère sur ma table.

C'était plus qu'une lettre d'amour, c'était une déclaration sur une vingtaine de pages, une sorte de journal intime qui m'était entièrement consacré...

Je peux comprendre qu'on se mette dans des états pareils - je n'ai pas envie de rire de ce garçon... Mais tout de même, c'était un peu intense.

STÉPHANE DOMPIERRE

2006. C'était une de mes premières séances de dédicaces. Les critiques de mon roman Un petit pas pour l'homme étaient excellentes, mais j'étais encore à peu près inconnu. Louis-José Houde m'avait défendu au combat des livres de Radio-Canada et, pour l'occasion, on avait affublé mon livre d'un bandeau qui disait précisément cela: défendu par LOUIS-JOSÉ HOUDE au combat des livres. Mine de rien, son nom, en lettres majuscules blanches sur fond rouge, était plus grand que le mien. Je le sais, j'ai mesuré pendant que j'attendais mes lecteurs, assis à ma table à ne rien faire.

Les rares fois où l'on m'adressait la parole, c'était pour savoir où se trouvaient la caisse, les toilettes ou Patrick Senécal. Géronimo Stilton déclenchait l'hystérie chez les enfants et India Desjardins se ruinait le tunnel carpien à force de signer autant de dédicaces. Je ne connaissais personne. J'attendais que ça finisse. Ça ne finissait pas. Et puis deux dames âgées sont passées devant le stand où je me retenais de verser des larmes en l'honneur de mon ego à jamais brisé. Elles ont regardé mon livre, sans me regarder moi, et elles ont entamé une courte conversation. Je n'existais pas.

«Regarde! Louis-José Houde a écrit un livre.

- Ben non, il l'a pas écrit, il l'a défendu!

- Ah ouin? Il l'a défendu contre quoi?»

Elle ne savait pas. Elle a haussé les épaules et les deux sont parties, probablement pour acheter les livres de Michel Tremblay, Robert Lalonde, Marie Laberge, ou pour rencontrer Janette Bertrand, soeur Angèle ou Alain Stanké. Je n'existais toujours pas, mais je sentais que ça viendrait un jour. J'y étais presque.

Il fallait seulement que je me débarrasse de cette saleté de bandeau rouge.

MARIE LABERGE

Quand j'ai commencé à publier, c'était chez VLB comme auteure de théâtre. Lors de mes premiers salons, je me retrouvais donc assise entre Victor-Lévy Beaulieu, qui était déjà très connu, et un autre immense écrivain, Yves Thériault. Chacun avait une longue file de lecteurs, alors que moi, je signais très peu. Je suçotais mon crayon, les gens s'arrêtaient juste pour me demander leur chemin, j'étais un peu comme l'hôtesse du stand VLB. Je dirais que ç'a été des années de contemplation et, pour une femme de théâtre, c'était merveilleux de pouvoir observer ainsi alors que personne ne s'occupait de moi. J'ai aussi adoré regarder ces deux hommes interagir avec les gens. Je n'ai jamais oublié cette période et ça me rappelle à quel point le public nous fait un cadeau lorsqu'il nous aime, que ça ne s'organise pas. Je sais que c'est une vraie chance, mais aussi que ça arrive en son temps.

MARTIN LAROCQUE

Vous connaissez toutes ces métaphores sur l'accouchement que l'on utilise pour parler de la sortie de notre dernier livre sur le marché... Le douloureux accouchement et la hâte de savoir si notre petit dernier va plaire. Eh bien, imaginez lorsque c'est toute une maison d'édition que l'on met au monde! Alors là, c'est plus que douloureux. Lors de mon premier salon du livre, je me rappelle très bien m'être rendu compte, à la fin de la première journée, qu'à la fermeture des portes, il faudrait laisser les livres seuls dans la grande salle, comme ça! Pas de gardienne! Pas de musique douce pour qu'ils se sentent moins seuls! Pas de verre d'eau, juste au cas où... Vraiment, j'ai tout fait pour étirer ma présence auprès d'eux avant de les abandonner pour la nuit. Eux qui avaient mis deux ans à venir au monde. Eux qui m'avaient même endetté! Je crois que le gardien de sécurité a senti mon âme paternelle. Il était lui-même un peu papa poule en venant me voir à la fin de la fin de la fin de la journée, et, en posant sa main rassurante et ferme sur mon épaule inquiète, il m'a dit d'un ton sûr: «Si vous sortez pas, on va appeler la police!»

Photo: François Roy, archives La Presse

Stéphane Dompierre

DELAF ET DUBUC

Pour plusieurs, Les Nombrils ne sont qu'une série d'humour adressée aux filles. Mais pas pour ce jeune homme qui est venu nous rencontrer lors d'une séance de dédicace il y a quelques années. La thématique de la série, une jeune fille timide qui se fait malmener par ses deux amies, l'avait touché profondément. Il s'y était reconnu, non pas comme une victime... mais comme un intimidateur. Et cette constatation lui a donné envie de changer. Il est venu nous faire signer un album, mais surtout nous dire que grâce à nos histoires, sa vie avait pris une direction complètement différente. C'est la démonstration que, à travers l'humour, on peut traiter de thèmes difficiles et parler à la génération qui nous suivra. Et cette génération, nous avons le plaisir de vous confirmer qu'elle est éveillée et perspicace!

PATRICK SENÉCAL

Un couple de jeunes (20 ans environ) gothiques-trash s'approche de moi, au salon de MTL, il y a quelques années. Ils me disent qu'en l'honneur de la Reine Rouge dans mon roman Aliss, ils organisent trois ou quatre fois par année des soirées échangistes inspirées de la partouze du Palais à la fin du roman. La fille, très gentille, très articulée, pas du tout hystérique, me dit: «Nous serions honorés si vous pouviez venir à l'une de ces soirées». J'ai dit merci, que j'allais y penser. Le soir, j'en ai parlé à ma blonde. Vous imaginez sa réponse, j'en suis sûr.

SAMUEL ARCHIBALD

Dieu sait pourquoi, les salons de régions sont souvent plus riches en anecdotes. Le salon de Sept-Îles en 2012 fut pour moi le plus riche en rencontres de personnages hauts en couleur. Il faut dire que je signais à côté de l'anthropologue Serge Bouchard, qui ne donne lui-même pas sa place.

À un moment, un monsieur s'est arrêté devant notre stand et a demandé à M. Bouchard:

- «Pourquoi y a «mammouth» dans le titre de votre livre?»

- Parce que j'y évoque les mammouths qui vivaient ici, monsieur, il y a 6000 ans.

- Pffff. Y a jamais eu de mammouth icitte, voyons donc.

- Ah bon?

- Non, icitte, y a des castors pis des lièvres. Des castors gros comme des vaches, ça y en a pus, pis des lièvres gros comme des castors, ça y en a encore.

- Vraiment?

- Oui, les Indiens appellent ça des Jack Rabbits. C'est haut de même.

-Ça doit être beau à voir.

- C'est beau à voir, ça c'est clair, mais moi, j'hayis ça.

- Et pourquoi donc?

- Bin, sont pas mangeables, les tabarnaks.

Un peu plus tard, la même journée, un bonhomme est venu nous voir et nous a demandé si on venait tous les deux de Montréal. Nous avons répondu «Oui». Monsieur Bouchard est un pur-souche et moi un Montréalais d'adoption.

Le monsieur a ajouté: «Bin faites attention, parce que moi aussi, j'étais un gars de Montréal. Je suis venu icitte à la pêche en 1979, j'ai pogné une truite de 5 livres et demie pis je suis jamais reparti. Je me suis marié, j'ai eu des enfants. Pis j'ai jamais repris une truite de 5 livres.»

C'est un peu ça, la vie, non?

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Tous les écrivains interrogés ici seront au Salon du livre.

Photo: Rémi Lemée, archives La Presse

Les bédéistes Delaf et Dubuc