Sophie Cadieux et sa bande de la Banquette arrière retourneront sur les bancs d'école cet hiver, afin de se questionner sur leur jeunesse passée, mais aussi sur leur passage - réussi ou non - à l'âge adulte. Métaphore de l'évolution du Québec, Les mutants puise également dans notre histoire politique et culturelle pour mesurer le chemin que nous avons parcouru collectivement.

Coécrite par Sophie Cadieux et Sylvain Bélanger, qui signe la mise en scène, Les mutants a été présentée à La Licorne en 2009 pour la Dizaine des auteurs. Mais depuis cette unique représentation, le duo a approfondi sa recherche - avec l'aide de René-Daniel Dubois - et peaufiné ce texte né d'une prise de conscience du temps qui passe et de cette impression tenace d'être dans une «fuite vers l'avant», sans aucun repère.

«Nous sommes partis de l'idée d'un pyjama party, commence par nous dire Sophie Cadieux, qui a travaillé avec Sylvain Bélanger lors de la création de Cette fille-là, en 2004. Sylvain disait qu'il se trouvait trop vieux pour ce genre de truc. On s'est posé la question: est-ce que nous sommes de jeunes vieux ou de vieux jeunes? Qu'est-ce que ça signifie être vieux? Tranquillement, l'idée nous est venue de faire un retour dans le temps.»

D'où ces huit personnages trentenaires projetés dans une salle de classe, vêtus de leurs costumes d'écoliers des années 60, interrogés par leur maître, interprété par Sylvain Bélanger, qui sera assis dans la salle. Le metteur en scène de Yellow Moon tenait à faire un parallèle avec l'histoire du Québec. «Chacun des personnages fait son propre bilan. Mais nous voulions aussi poser la question: est-ce que le Québec est un pays jeune ou vieux? Dans ses idées? Dans l'incarnation de ses institutions? Sa vision collective?»

Ces enfants représentés par des adultes subiront 25 petits examens, qui sont au coeur des Mutants. C'est pour la préparation de ces examens que l'équipe de création a multiplié les recherches. Comme ce concours d'art oratoire, fait à partir d'un texte de Télésphore Damien Bouchard, ancien maire de Saint-Hyacinthe dans les années 40, qui avait un discours extrêmement progressiste. «Il y a des discours qui pourraient être contemporains et qui nous font réaliser qu'on n'est pas le centre du monde», estime Sophie Cadieux.

Pour Sylvain Bélanger, l'image du costume d'écolier demeure un des éléments-clés du spectacle. «L'image du costume étriqué est une allégorie de la Révolution tranquille inachevée, explique-t-il. Chacun est libre de se libérer du costume, de s'enfermer dedans, de le déchirer, de se révolter. Il y a une ambiguïté constante entre le personnage et le costume.» On passe ainsi de la parole de l'enfant à celle de l'adulte qu'il est devenu.

«On revisite l'histoire du Québec en repassant celle des personnages, poursuit Sylvain Bélanger. On a retracé des textes de Lionel Groulx, René Lévesque, Pierre Elliott Trudeau, mais aussi de politiciens actuels. Il y a un quiz national où les élèves doivent deviner qui a dit quelle phrase. Il y en a qui datent d'il y a deux ans, d'autres d'il y a cent ans. Est-ce que nos idées ont évolué? Certaines oui, certaines non. En tout cas, il y a des courants politiques ou idéologiques qui existent depuis toujours.»

Le spectacle, qui repose beaucoup sur les projections vidéo - extraits de discours, de films, de chansons ou de poèmes d'artistes comme Gaston Miron, Leonard Cohen, Renée Claude, Pierre Lalonde, etc. -, contient également des segments chorégraphiés par Fred Gravel, qui a participé à l'aventure. «La culture populaire, la musique, nous aide aussi à mieux saisir d'où on vient pour savoir où on s'en va, croit le metteur en scène. Tout ça évidemment dans un grand ludisme.»

«C'est un spectacle quasi performatif, conclut Sophie Cadieux. Ce sont les membres de la Banquette arrière qui ont répondu aux questions que nous avons préparées. À la fin de cet exercice, on réalise qu'on fait partie d'un cycle, ce qui est réconfortant et affolant en même temps. Ce qui est intéressant pour nous qui sommes trentenaires, c'est que nous sommes des êtres de transmission. Il faut perpétuer ce cycle de réflexion. D'une certaine manière, pour regarder en avant, on a regardé en arrière.»

Les mutants, du 11 au 22 janvier, à Espace Go