Le titre intrigue. On dit «Pillowman», comme on parlerait d'un cleptomane, d'un pyromane ou d'un mythomane. Sur l'intime scène de La Licorne, un poids lourd (Antoine Bertrand) défendra le rôle d'un géant «homme-oreiller «, employé d'un abattoir qui, à ses heures, écrit des contes terrifiants. Denis Bernard signe la mise en scène de cette pièce qui s'interroge sur la responsabilité des artistes quant aux répercussions de leurs oeuvres.

Je rencontre Denis Bernard dans la salle de répétition de La Licorne, où le décor du spectacle Le Pillowman occupe le tiers de l'espace. Il est rare que les scénographies soient complétées si hâtivement dans la conception d'un spectacle. Mais dans ce cas-ci, c'est différent. Les murs capitonnés de deux salles d'interrogatoire divisées par un miroir sans tain (conçus par le scénographe Olivier Landreville) sont intrinsèques à la vision du metteur en scène.

 

«Landreville et moi aimions l'idée de situer l'histoire dans un contexte de garde à vue. Les planchers sont rouges comme dans une morgue. Le capitonnage évoque la violence d'un endroit où les gens sont mis sous tension. Et en même temps, cela évoque le Pillowman...»

Bernard, qui a été encensé pour sa mise en scène de Coma Unplugged (née à La Licorne en janvier 2007), aime s'attaquer à des textes qui le bousculent, le dérangent. «Jean-Denis m'a filé ce texte de Martin McDonagh il y a deux ans. Cela m'a complètement déboussolé. Je trouvais que c'était la beauté dans l'horreur, que c'était une comédie grotesque empreinte d'une humanité exceptionnelle», confie-t-il.

Il était une fois, dans un état totalitaire...

Dans Le Pillowman, l'auteur irlandais Martin McDonagh nous entraîne dans un état totalitaire, à une époque où pullulent les disparitions d'enfants. Le protagoniste central est un gars qui travaille dans une boucherie et écrit des contes. Des histoires terrifiantes comme La petite Jésus, qui parle d'une petite fille qui se prend pour le Christ. Ou encore celles du Petit cochon vert et des Petits hommes pommes...

Or, les événements décrits dans ses histoires se matérialisent dans la réalité. La police le met alors en garde à vue, s'appropriant le droit de vie ou de mort sur lui... Entre l'État totalitaire imaginé par McDonagh et un monde où le ministre du Patrimoine refuse qu'une subvention soit allouée à un groupe de musique qui dit fuck dans une chanson, la ligne est mince, soutient Bernard. «McDonagh demande si l'artiste est responsable des impacts de son oeuvre sur la société. Mais poser la question, c'est y répondre. Il est responsable de raconter avec le plus de cohérence possible son histoire. Mais ce n'est pas parce que tu fais une annonce de bière que les gens vont devenir alcooliques», fait valoir Denis Bernard.

Le jeu d'abord

Pour incarner ce géant Pillowman de neuf pieds, Denis Bernard a fait appel aux services d'Antoine Bertrand. Dans le rôle de son frère, qui souffre d'un retard mental, Frédéric Blanchette occupera lui aussi la scène de La Licorne par son imposante présence. «Je voulais deux tas de testostérone qui feraient de la dentelle», exprime ce collaborateur de longue date du Théâtre de la Manufacture, pour qui le jeu est au premier plan des préoccupations.

«Avec Jean-Denis Leduc et la Manufacture, une collaboration s'est cristallisée, pour mon plus grand bonheur. Je me sens bien ici, dans ce lieu tout petit, de tous les possibles. L'approche artistique me convient, tant comme interprète que comme metteur en scène. Il y a une communauté d'esprit qui est réelle. On ne veut pas d'un théâtre déconnecté d'une réalité, mais plutôt un théâtre incarné, avec une responsabilité sociale, civile, morale.»

Et surtout, il revient sur la magie qui consiste à dire aux spectateurs «il était une fois», à leur tendre la main pour les amener ailleurs. «Ce «il était une fois» est l'assurance que je ne suis pas seul. Que je ne serai jamais seul.»

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Le Pillowman, texte de Martin McDonagh, dans une mise en scène de Denis Bernard, du 13 janvier au 21 février à La Licorne.