Le 8 mai 1984, le caporal Denis Lortie faisait irruption à l'Assemblée nationale de Québec, armé d'une mitraillette. Trois personnes ont péri dans cet attentat contre le gouvernement québécois qui, aux yeux du militaire, incarnait l'image du père. Avec Lortie, le Nouveau Théâtre Expérimental revient sur ces événements traumatisants en lui conférant une dimension tragique et psychanalytique.

Au NTE, c'est connu, on ne fréquente pas trop les sentiers balisés. Depuis déjà plusieurs années, le tandem Alexis Martin-Benoît Brière aime inviter dans son giron des collaborateurs dont le premier métier n'est pas le théâtre. «On aime décloisonner, mélanger les genres. C'est un peu notre mandat», dit Alexis Martin, qui défendra le rôle de Lortie dans cette mise en scène de Daniel Brière.

 

En mars dernier, Alexis Martin a cosigné Sacré-Coeur avec son ami urgentologue Alain Vadeboncoeur, qui dépeignait avec une grande humanité le quotidien d'une salle des urgences. Pour Lortie, les gars du NTE ont fait appel à leur ami Pierre Lefebvre (directeur de la revue Liberté), qui avait été dramaturge pour les pièces Taverne et Bureau. «Pierre s'est inspiré des événements, mais dépasse l'anecdote, en allant vers la mythologie», souligne Alexis Martin.

Le comédien Henri Chassé campera René Jalbert, le sergent d'armes de l'Assemblée nationale qui a réussi à désarmer Lortie. «C'est comme si, entre eux, s'était établi un rapport de confiance père-fils. Jalbert incarne l'image du bon père, qui faisait contraste avec le père réel de Lortie, un homme violent», explique Chassé.

Cas célèbre

Le texte de Pierre Lefebvre met d'ailleurs l'accent sur la symbolique père-fils de l'événement. Dans leurs recherches, les concepteurs de la pièce ont parlé avec le psychanalyste Pierre Legendre, qui leur a confirmé que Lortie estimait que le gouvernement du Québec avait le visage de son propre père.

Selon Martin et Chassé, théâtraliser l'affaire Lortie est un passage important pour comprendre ces événements et prendre du recul face à l'évolution de notre société. «C'est une métaphore du Québec», pense Alexis Martin, qui indique que la pièce pose des questions fondamentales sur le Québec, 24 ans après l'irruption de Denis Lortie à l'Assemblée nationale. «Sommes-nous malades de nos pères, de nos fils? Le texte de Lefebvre parle d'inceste, dans une société fermée sur elle-même», poursuit le codirecteur du NTE.

L'aliénation mentale

«Lortie voulait être arrêté et a tout fait pour qu'on l'empêche de passer aux actes. Avant d'entrer au parlement, il a même tiré sur le manège militaire!» rappelle Alexis Martin, qui indique que la pièce aborde la question de l'aliénation mentale. «Est-ce que quelqu'un peut obtenir un verdict de culpabilité s'il n'était pas conscient de ce qu'il faisait? Lortie n'a pas voulu plaider l'aliénation. Mais il n'avait aucun souvenir véritable de ce qui s'était passé. Il était en crise et l'assumait.»

Le délire était très logique, chez celui dont le dessein était très clair: attaquer René Lévesque. «Il accusait les séparatistes d'enfermer les Québécois dans un ghetto. Cela traduisait sa frustration de Canadien français qui, dans l'armée, s'est retrouvé dans un monde anglophone.»

Mais reste qu'il est délicat de se prononcer sur le fonctionnement mental d'un homme encore en vie. «On ne sait pas dans quel état il est. Il est sorti de prison, où il a eu une conduite exemplaire. Il a, paraît-il, été propriétaire d'un dépanneur», dit Henri Chassé.

Réfléchir sur notre emprise, comme citoyens, du devenir d'un pays, d'une province. S'interroger sur la place de l'État dans nos vies. Revenir aux mythes qui gouvernent aussi nos valeurs.

Revenir sur Lortie, c'est un peu l'occasion de revenir sur nous-mêmes.

Lortie, de Pierre Lefebvre, dans une mise en scène de Daniel Brière, à l'Espace Libre, du 11 novembre au 6 décembre.