Étrange. Dérangeant. Froid et âpre. Un spectacle rébarbatif, mais dont le propos nous interpelle, forcément. Yves Desgagnés s'est attaqué au Retour d'Harold Pinter par la voie de l'art visuel. La verticale scène du TNM est métamorphosée en hommage à Edward Hopper, peintre qui a inspiré sa démarche. Les meubles et accessoires sont disposés de manière symétrique. Un cadre bidimensionnel qui rend les personnages tantôt énigmatiques, tantôt grossiers ou carrément caricaturaux.

Le principal problème de cette production, à mon avis, est le fossé entre les niveaux de langue de certains personnages. Dans la peau de Max, le patriarche immonde, aigre, vicieux, qui refuse de vieillir, Marcel Sabourin se donne sans retenue. Je dirais même qu'il plonge, avec un plaisir qui n'a rien de coupable, dans ce que l'humain a de plus laid à offrir. Seulement, voilà, le vilain borné que compose Sabourin parle avec un accent québécois, tandis que ses enfants ont une langue beaucoup plus normative. Le détail agace.

 

Comme plusieurs, j'avais hâte de voir comment Patrice Robitaille allait s'en tirer sur la scène du TNM. Desgagnés lui a confié un rôle de parfait salaud, misogyne, macho, séducteur. Il accomplit cette tâche avec beaucoup d'aplomb, aux côtés d'une Noémie Godin-Vigneau qui, en revanche, fait une femme fatale plutôt artificielle. Il semble que la comédienne n'ait pas encore trouvé le ton juste pour rendre cette femme mystérieuse destinée à devenir la possession de cette fratrie de dépravés. Elle est belle, intense et d'une froideur énigmatique. On devine l'intelligence de son personnage. Mais son jeu est inégal et souvent plaqué.

Parce que, pour revenir au propos du Retour, il s'agit du récit d'une famille de chauvins qui accueille dans son giron la nouvelle épouse de l'un des fils, exilé aux États-Unis depuis six ans. Pinter y dépeint avec cruauté la psychologie macho et perverse de ces hommes des swinging sixties qui refusent de voir les femmes autrement qu'en maman ou putain.

La première partie du spectacle met la table en nous présentant ces vilains garçons. À commencer par un dialogue père-fils entre les personnages incarnés par Sabourin et Robitaille, qui fait démarrer la pièce sur une note discordante. Dans le rôle de Sam, Benoît Girard se joint au camp de Max, avec qui il compose un duo plus clownesque que tragique. Deux hommes sortis d'un univers totalement différent de celui des fils.

Si bien que lorsqu'en seconde partie, on bascule dans la dimension fantasmatique des personnages - bonjour l'orgie! - le spectateur est plus dérouté que réellement troublé par la tournure des événements. Aussi malsaine et «dysfonctionnelle» soit-elle, une famille possède forcément des traits communs qui unissent ses membres. Mais celle que l'on retrouve sur la scène du TNM est composée de purs étrangers qui ne parlent pas la même langue. Malaise.

Avec Le retour, Pinter a cherché à raconter la cruauté que génère l'immense fossé entre les hommes et les femmes. Yves Desgagnés, en partant du non-dit de la peinture, compose un tableau étrange, mais sans relief.

Le retour, d'Harold Pinter, au TNM jusqu'au 29 novembre.