Depuis près de 50 ans, le Black Theatre Workshop (BTW), la plus ancienne compagnie théâtrale de la communauté noire du Canada, est établi à Montréal. Pourtant, peu d'amateurs de la scène culturelle connaissent ses activités. La Presse a rencontré son directeur artistique, l'acteur Quincy Armorer, dans les bureaux du BTW, rue Jeanne-Mance.

Il y a comme une muraille de Chine entre les milieux du théâtre anglophone et francophone à Montréal. Le Black Theatre Workshop existe depuis 1972. Vous avez présenté des centaines de productions à travers le Canada. Or, cet automne, ce sera la première fois dans l'histoire de la compagnie que vous allez jouer dans un théâtre francophone à Montréal.

Il y a une séparation entre les deux milieux. C'est dommage, mais c'est un peu normal. Contrairement à la danse ou la musique, le théâtre est l'art de la parole. Mais on a tellement à gagner en s'inspirant les uns des autres. C'est pourquoi je suis si heureux de l'invitation de Sylvain Bélanger du Centre du Théâtre d'Aujourd'hui, pour monter une version en français de la pièce Angélique, le 15 décembre.

Le Black Theatre Workshop est reconnu par les subventionnaires et c'est la plus ancienne compagnie de théâtre de la communauté noire au Canada. Quelle est sa mission?

Notre mandat, c'est de présenter des pièces qui racontent l'expérience noire, sous toutes ses formes. On ne produit pas seulement des auteurs noirs, mais les récits doivent aborder le vécu des Noirs. Pour moi, l'art, sans tomber dans le militantisme, est politique. Avec la compagnie, nous voulons divertir et éduquer le public. Comme directeur artistique, j'ai une responsabilité d'être en phase avec l'actualité sociale et politique de notre monde. À travers l'émotion véhiculée par les histoires de nos programmes.

En 2018 au Québec, selon vous, quel est l'enjeu principal du milieu du théâtre?

Bien sûr, toutes les discussions dans l'actualité autour des questions d'inclusion et de diversité sur nos scènes. C'est important pour le BTW. C'est en partie la raison d'être de la fondation de la compagnie en 1972.

Estimez-vous que les choses ont évolué depuis ce temps au Québec?

La société a évolué, c'est mieux qu'avant, certes. Mais je pense que le problème aujourd'hui, c'est que certains Québécois se cachent derrière ces changements de mentalité pour justifier leur inaction. Et pourtant, il reste beaucoup à faire [pour inclure les minorités].

Croyez-vous qu'il y ait du racisme systémique au Québec?

Oh boy! Je savais que cette question viendrait... (rires) Le Québec a un passé raciste, même s'il est moins documenté et qu'on en parle moins qu'aux États-Unis, par exemple. Mais il y a aussi eu de l'esclavage au Québec et au Canada. C'est un fait profondément enraciné dans l'histoire. Pour revenir à la question, le Québec n'est pas une société raciste, mais il y a du racisme au Québec.

Comme partout ailleurs?

Je suis un homme noir. J'habite au centre-ville de Montréal. Je suis nerveux quand une voiture de police passe près de moi dans la rue. Je fais face - pratiquement sur une base quotidienne - à des comportements racistes. Pas en plein visage et pas par tout le monde. Mais chaque jour, je suis conscient que je dois faire ma place dans un monde colonialiste et dominé par les Blancs.

Et l'acteur noir montréalais, comment se sent-il dans le milieu?

Je rêve du jour où on ne fera pas la manchette parce qu'un interprète noir joue un premier rôle au TNM ou chez Duceppe. Pour l'instant, ça fait la nouvelle, parce que ce n'est pas dans la norme. J'aimerais que ça soit normal de voir des acteurs de la diversité au théâtre.

Le metteur en scène Serge Denoncourt a déclaré récemment qu'il aimerait bien engager des interprètes des minorités; or souvent, leurs parents les empêchent d'étudier le théâtre et de réaliser leur rêve.

D'accord, mais pourquoi leurs familles ne veulent-elles pas? Peut-être qu'elles pensent que les acteurs de couleur ne sont pas les bienvenus dans l'industrie... Si ces parents ne voient pas d'ouverture du milieu, pourquoi voudraient-ils voir leurs enfants étudier en théâtre? C'est bien beau de dire que la porte [des théâtres] est ouverte. Or, dans la vie, il ne faut pas juste ouvrir la porte de sa maison et affirmer que tout le monde peut entrer. Il faut accueillir les gens à la porte, leur tendre la main et leur faire sentir que leur présence est appréciée.

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Le BTW ouvre sa saison du 3 au 14 octobre prochain avec Sound of the Beast au Centre MAI.