D'abord, réglons une chose une fois pour toutes au sujet de l'année qui a vu naître France Bégin, à Sherbrooke, dans les Cantons-de-l'Est. Sur le web, l'année change constamment.

Parfois, la plus sexy de toutes les septuagénaires, qui porte désormais le nom de Castel, est née en août 1943, parfois, en août 1944. Une année de différence, ça ne change pas le monde, mais ce n'est pas une raison pour ne pas avoir l'heure juste à ce sujet. Quelle date est la bonne? 1943 ou 1944?

C'est la première question que je pose à France Castel en prenant place devant elle dans le café d'Outremont où nous avons rendez-vous, à un jet de pierre du mont Royal, où la grande marcheuse qu'elle est se rend fréquemment et avec un plaisir sans cesse renouvelé.

L'année de sa naissance est peut-être un détail, mais comme France sera l'objet, le 10 juin, d'un grand hommage mis en scène par Serge Denoncourt à l'Espace Go, puis le sujet d'une entrevue bilan avec Stéphan Bureau, le détail a son importance. Alors, 1943 ou 1944?

«Je ne suis née qu'une fois, en 1944», répond France Castel, avant d'ajouter avec son impeccable sens de la dérision: «Mais je suis morte une couple de fois!»

Et la voilà qui part d'un immense éclat de rire, le premier d'une longue série qui résonnera dans le café et qui est, depuis longtemps, la signature, voire la marque de commerce de cette femme, morte autant de fois qu'elle a ressuscité.

Femme qui, malgré les excès, les dépressions, les tentatives de suicide et les cures de désintoxication, a gardé intact son beau visage aux pommettes saillantes et aux yeux pétillants.

On souhaite à tout le monde de vieillir aussi bien que France Castel. Elle-même reconnaît être pourvue d'une hérédité enviable. Du moins physiquement. Psychologiquement, c'est une autre histoire.

Si elle tient sa force de caractère de sa mère, Rita Martin Boivin, une maîtresse d'école dotée d'une voix de soprano, ses failles et ses fragilités lui viennent de son père, Antonio Bégin, un artiste, dessinateur, musicien et vendeur de meubles bipolaire.

La bipolarité, la dépression et le suicide n'étaient pas étrangers à cette famille de huit enfants originaire de Coaticook.

France se souvient qu'en grandissant, sa position d'enfant du milieu ne lui plaisait guère. «Un enfant du milieu, ça revendique sa place pour exister. Ça veut tout. Des fois, mes parents ne savaient plus quoi faire avec moi, alors ils m'envoyaient chez ma grand-mère.»

Plus tard, dans la vie, France Castel a continué à tout vouloir et à tout faire aussi: chanteuse, actrice au théâtre et au cinéma, Stella Spotlight dans Starmania, animatrice à la télé et même Miss Couche-Tard à l'émission du même nom pendant l'Expo 67. Sa carrière polymorphe et plurielle court sur 50 ans.

«J'ai souvent eu le sentiment que je m'éparpillais, mais c'est plus fort que moi. J'aime tout, je suis curieuse de tout, j'obéis à l'énergie du moment et surtout, je vais où on me veut.»

Passer à un autre appel

Le problème de France Castel, c'est peut-être qu'on l'a voulue à plusieurs endroits et qu'elle s'est laissé porter sans vraiment rien décider.

À l'aube de la trentaine, sa voix veloutée et superbe, sa diction parfaite et son swing naturel auraient pu en faire une des grandes chanteuses de sa génération. Elle reconnaît elle-même avoir découvert un jour, à sa grande surprise, qu'elle avait une voix à la Barbra Streisand.

Mais pour poursuivre dans cette veine, il aurait fallu qu'elle abandonne bien des choses. Or, la chanteuse s'est vite lassée de faire des vocalises et de s'empêcher de vivre pour préserver sa voix.

«Dans tout ce que j'ai entrepris est toujours arrivé ce moment où j'ai commencé à m'ennuyer. J'adore chanter, mais au bout de 40 shows, toujours les mêmes, j'ai envie de passer à un autre appel.

«Même chose pour l'actrice. J'aime jouer au théâtre ou au cinéma, mais pas au point de m'enfermer dans un carcan et de cesser d'être moi. Je n'ai pas cette rigueur-là. Cela ne m'a pas empêchée de faire un tas d'affaires et de trouver ma place ou, du moins, mon utilité.»

Utilité: le mot est intrigant et en même temps d'une grande précision. Dans l'esprit de France Castel, il correspond à ce qu'elle croit incarner aux yeux du public.

«Ce que je dégage, dit-elle, c'est la permission. Je donne aux gens la permission de ne pas être parfaits, d'être un peu tout croche. À travers tous mes déboires avec la dope, l'alcool, la dépression, je n'ai jamais senti que les gens me jugeaient.

«Au contraire. Je pense qu'ils ont compris que je suis une bonne et généreuse personne qui a beaucoup vécu et pas toujours de la bonne manière. À travers moi ou mes personnages, ils ont eux aussi la permission d'être qui ils sont.»

France laisse tomber cette dernière phrase sans éclater de rire. C'est bien la première fois. Je lui demande si ce rire joyeux, envahissant et tonitruant qui jaillit d'elle à tout moment est une fuite et une façade pour cacher, en fin de compte, une certaine détresse intérieure.

Elle répond que par le passé ce rire a parfois été une façade, mais que ce n'est plus le cas depuis au moins 10 ans.

«J'ai peut-être une part d'ombre, mais je suis aussi de nature joyeuse, pour de vrai. Aujourd'hui, ce rire n'est pas une façade, mais un allié précieux pour vivre et pour faire circuler l'énergie. Et puis, en fin de compte, ce que ce rire dit, c'est que la vie est drôle. La vie, quand on y pense, c'est une grosse blague.»

Hommage

Peu de temps après avoir appris qu'elle perdait l'émission Pour le plaisir qu'elle animait avec Michel Barrette depuis huit ans, France Castel a su que les filles de l'Espace Go voulaient lui rendre hommage.

Ces soirées existent depuis 1996 et ont célébré tout un cortège d'actrices et de femmes de théâtre comme Louise Marleau, Janine Sutto, Andrée Lachapelle, Monique Mercure, Janette Bertrand et plusieurs autres. La nouvelle a agi comme un baume sur son ego malmené par la perte de sa quotidienne à la télé.

«Ça m'a beaucoup touchée que ce premier hommage me vienne du théâtre, un lieu où je ne me suis jamais sentie de trop», dit-elle avant de laisser l'humour reprendre ses droits et d'ajouter: «Maintenant, si elles me rendent hommage parce qu'elles pensent que je suis finie ou que ma carrière est derrière moi, j'ai des petites nouvelles pour elles!»

C'est bien entendu une boutade, mais avec un fond de vérité. Malgré les 71 ans bien sonnés qu'elle fêtera en août, France Castel n'a aucunement l'intention de disparaître dans la nature ou de prendre sa retraite.

Même qu'elle apprivoise l'idée de monter une sorte de one woman show où elle dirait tout, absolument tout. Mais l'immensité de la tâche et ses risques la font pour le moment encore hésiter.

Chose certaine, France Castel veut, coûte que coûte, continuer dans le métier: «Moi, mon équilibre mental passe par le travail, plaide-t-elle. Je ne suis pas une contemplative. J'ai besoin d'action. Dans le fond, je n'ai jamais renoncé à l'excès. Je lui ai seulement donné une autre job et une autre fonction.»

Au moment où elle laisse tomber cette remarque, un client lui lance, en quittant le café, qu'elle est trop jeune pour arrêter. France éclate à nouveau d'un immense rire tonitruant. Le rire qui fait circuler l'énergie. Le rire qui sauve la vie.