Depuis deux ans, la voix de Catherine Perrin résonne tous les matins à la radio de Radio-Canada. Médium large, le titre de l'émission, a pris le large, mais son animatrice a lentement mais sûrement imposé son style posé et intelligent. Or, la radio n'est qu'un aspect de la double vie de cette claveciniste qui s'apprête à vivre son premier grand concert à la Maison symphonique avec l'Orchestre Métropolitain demain.

Collée sur la vitrine du Théâtre Outremont, une immense affiche a capté mon regard. C'était une affiche de l'Orchestre Métropolitain, mais au lieu de Yannick Nézet-Séguin, c'est le visage et le nom de Catherine Perrin qui étaient en vedette sous le titre Les quatre saisons de Catherine.

Sur le coup, je n'ai pas compris. Est-ce qu'on parle d'un concert ou d'une émission de radio ? Et qu'est-ce que Catherine vient faire avec l'Orchestre Métropolitain? Discuter musique ou météo?

En réalité, il s'agit d'un concert bâti autour des Quatre saisons de Vivaldi, sous la direction du chef Mathieu Lussier avec la violoniste Yukari Cousineau. Catherine présente les oeuvres avant d'aller rejoindre son clavecin et l'orchestre en formation réduite.

Bref, si elle trône en vedette sur l'affiche, c'est purement pour des raisons de marketing. Mais encore...

Bien que je connaisse Catherine Perrin depuis plusieurs années, ayant travaillé avec elle à Six dans la cité et, à l'occasion, à Médium large, pour moi, comme pour la moyenne des ours, Catherine Perrin est une animatrice avant tout, doublée d'une des meilleures, sinon de la meilleure chroniqueuse culturelle que l'émission du matin de René Homier-Roy ait connue.

Pour ce qui est de la musicienne, je n'ai jamais trop su ce qu'elle faisait, si c'était sérieux ou non, si ça valait quelque chose ou non. J'ignorais qu'elle avait enregistré plusieurs CD et fait partie d'I Musici, sous la direction du regretté Yuli Turovsky, pendant près de 10 ans. J'ignorais surtout que l'animatrice et la musicienne cohabitent chez Catherine depuis longtemps, parfois avec bonheur, parfois avec des tensions.

Qu'est-ce qui pousse un enfant vers un instrument plutôt qu'un autre? Pourquoi la petite Catherine, deuxième des trois filles de Jacques Perrin, mélomane et arbitre pour la fonction publique québécoise, et de Louise Adam, une femme qui fut très engagée dans le bénévolat et les soins palliatifs à Québec, s'est-elle entichée du clavecin, cet instrument d'un autre monde et d'un autre temps? Le hasard? Pas seulement.

À Sainte-Foy, où elle a grandi, avec la comédienne Geneviève Rioux comme meilleure amie, Catherine a commencé à faire du piano à 9 ans, avant de craquer, quelques années plus tard, pour un vieux clavecin qui traînait dans la maison, mis en consigne par un ami de la famille.

« J'avais 13 ans, j 'étais grande et maigre, une brindille. Le piano était lourd et imposant. J'avais l'impression qu'il me dominait alors qu'avec le clavecin, léger, délicat, je jouais d'égal à égal. Le clavecin était un terrain de jeu moins conventionnel, plus créatif et, contre toute attente, c'est un instrument d'une grande sensualité. Quand on se met à rouler des arpèges, c'est pas collet monté du tout », raconte-t-elle au milieu de la grisaille de la cafeteria de Radio-Canada où nous avons échoué, faute de mieux.

L'année de ses 13 ans, Catherine s'est inscrite en externe au Conservatoire de musique de Québec pour y apprendre le clavecin. Elle y est restée jusqu'à la fin de son cégep, sans jamais remettre en question sa passion pour l'instrument.

Puis, elle a quitté le Conservatoire pour faire un bac à l'Université Laval, où elle a étudié le clavecin sous la direction de Scott Ross, un grand virtuose du clavecin, né à Pittsburgh et mort du sida en France en 1989.

Par la suite, elle a fait un an de clavecin avec Mireille Lagacé, a obtenu un premier prix de clavecin au Conservatoire avant de s'envoler pour La Haye, mecque de la musique ancienne, à la fin des années 80, où cette musique connaissait une renaissance et un grand engouement chez la nouvelle génération.

Tout ne s'est pas écroulé pour Catherine à La Haye, mais disons que la vie l'a poussée à faire un constat lucide au sujet de son avenir.

Changement de cap

«Je me suis rendu compte que les longues heures de répétition dans l'isolement le plus complet commençaient à me peser. Et puis, contrairement à d'autres, la musique ne me venait pas si facilement que ça. Fallait que je travaille fort et que je répète longtemps pour arriver à de bons résultats. Tout ça combiné, j'ai compris que je ne serais pas heureuse à ne faire que ça pour le reste de ma vie.»

De retour à Montréal et enceinte de son premier enfant, elle s'est inscrite pour un certificat en communication dans le but de se trouver un jour un micro. De son propre aveu, l'amour de la radio lui est venu presque en même temps qu'elle se mettait au clavecin.

« À 13 ans, j 'ai fait une mononucléose qui m'a forcée au repos. Je n'avais rien d'autre à faire que d'écouter la radio. J'ai écouté des heures et des heures de radio avec Lizette Gervais et Andréanne Lafond et aussi avec Chantal Jolis à ses débuts, et j'adorais ça.»

Comme elle s'exprimait bien et connaissait le monde de la musique sur le bout des doigts, Radio- Canada l'a embauchée au début des années 90 pour les émissions de nuit, les relèves d'été et les chroniques musicales.

«Les gens croient que je suis apparue comme ça du jour au lendemain. Mais dans les faits, j'ai été dans l'underground radio-canadien, à la Première Chaîne et à la Chaîne culturelle, pendant 10 ans.»

Puis, un soir qu'elle anime le gala des prix Opus en circuit fermé, un producteur dans la salle la remarque. Il s'appelle Mario Clément et il voit en elle un nouveau visage, un nouveau ton et sans doute une jeune animatrice très éloquente et cultivée qui tranche sur le lot.

Syndrome de l'imposteur

Ils se retrouveront en 2000 à Télé-Québec pour créer Le septième, une émission sur le cinéma qu'anime Catherine aux côtés de Georges Privet.

«Le cinéma était le deuxième art que je connaissais le mieux après la musique, mais pas autant que je l'aurais voulu. C'est là sans doute qu'est né mon syndrome de l'imposteur, le sentiment de ne pas être à ma place, d'être en constant rattrapage. Imposteur des deux côtés en passant: aussi bien comme animatrice que comme musicienne, avec toujours cette même obsession de prouver que je suis capable.»

De cette obsession naîtra l'image d'une première de classe, étiquette que la principale intéressée réfute avec énergie.

«Je ne suis pas une première de classe et je n'ai jamais voulu l'être, mais le muscle involontaire que la musique développe, c'est la rigueur et l'exigence. Et c'est normal parce que lorsqu'on joue d'un instrument, tout le monde entend la moindre fausse note, même ceux qui ne connaissent rien à la musique. Alors oui, j'ai des exigences, mais je suis en train d'apprendre à me détendre un peu, à ne pas toujours vouloir prouver quelque chose.»

En cours de route, alors que sa carrière d'animatrice prenait du galon, Catherine Perrin aurait pu abandonner la musique. Elle y a songé, mais c'est la musique qui est toujours venue la rechercher, dit-elle. Demain soir, à la Maison symphonique, la musique reprendra temporairement tous ses droits dans la double vie de Catherine Perrin. Le temps d'un concert, l'animatrice et la musicienne seront réunies sur une même scène sans que ça soit au détriment de l'une ou de l'autre.

Les quatres saisons selon Catherine

1. L'été

C'est le chalet (dans les Basses-Laurentides), le clavecin et les compositions de Jean-Henri Danglebert, un claveciniste français mort en 1691.

2. L'hiver

C'est le vin rouge et Katie Melua, une chanteuse et auteure-compositrice britannique d'origine géorgienne, qui donne dans le jazz blues.

3. Le printemps

C'est les fenêtres ouvertes, le ménage et Karkwa qui joue à la radio.

4. L'automne

C'est un tapis de feuilles mortes rouges et flamboyantes sur La fin de l'homme de Daniel Bélanger. Fin qui ne sera pas la fin du monde.