Trois ans. Hier, cela a fait exactement trois ans que Kate McGarrigle nous a quittés. Pour sa fille Martha Wainwright, ce triste anniversaire marque un retour à Montréal dans la maison de sa mère, où elle veut s'installer pour faire son deuil, mais aussi entamer un nouveau chapitre de sa vie. Au programme dans l'immédiat, la sortie d'un CD des chansons que Martha a enregistrées en français pour la série Trauma.

La date prévue par le médecin était le 18 janvier 2010. C'est ce jour-là que Martha Wainwright devait accoucher de son fils Arcangelo. Mais le destin lui a joué un vilain tour. Alors qu'elle était encore à Londres, l'enfant est né avec deux mois d'avance. Or, pendant que le bébé de Martha et de Brad Albetta grandissait lentement dans son incubateur, Kate, sa mère, rapetissait dans son lit à Montréal, son corps rongé par une forme rare de cancer. Kate a fini par rendre l'âme deux mois plus tard, à 63 ans.

Kate n'a pas choisi l'heure ni la date de sa mort, mais le destin l'a fait pour elle. Elle est morte le 18 janvier 2010, date prévue pour la naissance de son petit-fils...

Martha Wainwright raconte cette triste et incroyable coïncidence sans trémolo dans la voix, mais avec une conscience douloureuse qui voile son regard moqueur. Comme elle le dit si bien: «Je suis encore dans la mort de ma mère. Le chapitre n'est pas fini.»

Pendant que bébé Arc dort au deuxième, nous nous sommes réfugiées au dernier étage du triplex de l'avenue Querbes acheté par Kate. Martha y a vécu jusqu'à son départ pour New York, il y a 15 ans.

Dans le salon meublé par son frère Rufus, un immense piano à queue voisine un faux foyer qui flambe artificiellement. Ici, des livres par dizaines, là, des affiches, des peintures, des bibelots, un bric-à-brac bohème et baroque qui transpire la vie d'artiste. Martha n'a pas touché au décor ni aux murs, mais elle prévoit d'ici peu rénover et s'approprier les lieux.

«J'avais envie de revenir dans cette ville que j'ai quittée à 21 ans parce que la vie y est plus douce, plus facile et le pain du Pain doré, meilleur. À Brooklyn, Brad et moi avons une maison à Bedford-Stuyvesant, qui est un quartier assez dur et pas idéal pour élever un enfant. Et puis, je veux que mon fils apprenne le français comme moi je l'ai fait à l'école Saint-Léon, puis au Collège Rachel, où je me souviens avoir participé à une production mémorable des Belles-Soeurs

Martha Wainwright, qui mène une carrière internationale peut-être pas aussi flamboyante que celle de son frère, mais néanmoins fort honorable, ne revient pas à Montréal uniquement pour le français de son fils. Elle revient aussi dire adieu à sa mère.

«C'est clair que ni moi ni Rufus n'avons complètement digéré la mort de notre mère qui est partie trop vite et qui a été une force, une présence et une influence déterminantes dans notre vie. C'est pour ça qu'on continue de chanter ses chansons, de lui rendre hommage dans des spectacles et de garder la plaie ouverte, en somme. Mais en même temps qu'on fait ça, on est ailleurs, en tournée, en voyage, à des milles de Montréal. On fuit en quelque sorte. En m'installant ici dans les affaires de ma mère, je vais devoir vivre avec son absence, comprendre une fois pour toutes qu'elle ne reviendra plus et commencer à faire mon deuil.»

En revenant à Montréal, Martha Wainwright ne prévoyait pas nécessairement y travailler. Comment aurait-elle pu le faire? Elle a quitté la ville il y a trop longtemps pour être au fait de ce qui se passe dans le milieu de la musique. Un jour pourtant, son agent l'a appelée pour lui annoncer qu'une certaine Fabienne Larouche voulait lui proposer un projet.

«Je n'avais aucune idée qui était Fabienne. Je l'ai su par la suite, rigole-t-elle. Mais l'idée de chanter des chansons en français pour une série télé québécoise m'intéressait. Je me souviendrai toujours de ma première rencontre avec Fabienne. Elle est apparue l'été dernier dans le driveway de notre maison, à Saint-Sauveur. Elle était venue à pied parce qu'elle habite à exactement deux rues de notre maison familiale. On s'est serré la main et c'était réglé.»

Même si Martha a grandi à Westmount dans un univers plutôt anglophone, les écoles françaises qu'elle a fréquentées lui ont ouvert les portes de la culture québécoise. Les chansons de Robert Charlebois comme celles de Félix Leclerc lui sont vite devenues aussi familières que celles des soeurs McGarrigle. C'est pourquoi, dans un premier temps, elle a voulu faire elle-même la sélection des chansons pour Trauma.

«Mais très vite, j'ai compris que la marge de manoeuvre était très mince et les contraintes techniques, nombreuses. Il fallait qu'il y ait un lien très étroit entre la chanson, l'image et l'intrigue, que les paroles soient réduites à un minimum. Bref, mes choix personnels ne cadraient pas, alors j'ai laissé Fabienne me proposer des chansons que je ne connaissais pas toujours, mais que j'ai découvertes avec plaisir.»

Lentement, mais sûrement, dans la maison de Saint-Sauveur ou dans celle de Brooklyn, Martha Wainwright s'est mise à enregistrer une chanson de Daniel Bélanger (Tu peux partir), une autre d'Ariane Moffatt (Mon corps), T'es jamais parti de Mara Tremblay, ou Si dieu existe de Claude Dubois. Et puis, est arrivé le moment fatidique où elle a dû attaquer Ayoye, immortalisée par Gerry Boulet.

«On ne peut pas chanter du Gerry Boulet et surtout une chanson comme Ayoye en faisant une reproduction bête et banale. On chante un monument et il faut que ça se sente.»

Le CD de Trauma chanté par Martha Wainwright sortira le 26 février. Entre-temps, Martha poursuivra la tournée mondiale pour son CD Come Hometo Mama, en Irlande, en Écosse et au Festival du film de Berlin, où elle présentera avec son frère Rufus le documentaire Sing Me the Songs That Say I Love You. Il s'agit de la captation d'un concert hommage à Kate McGarrigle, à New York, en 2011, réalisée par l'Australienne Lian Lunson qui a déjà signé un film semblable sur Leonard Cohen. Après quoi, Martha repartira en tournée.

«Mon grand défi ces jours-ci, dit-elle en conclusion, c'est d'arriver à concilier la mère et la chanteuse, sans sacrifier ni l'une ni l'autre comme trop de femmes dans mon métier ont dû le faire. À cet égard, ma mère a eu plus de chance que moi. D'abord, elle a eu plus de succès et puis, tellement de gens connus ont repris ses chansons que ses droits d'auteur lui ont permis de vivre sa vie de gitane canadienne sans trop s'inquiéter pour sa carrière. Moi, je dois travailler plus fort, mais ça va, je m'amuse. De toute façon, qu'est-ce que je pourrais bien faire d'autre?»

Hier, cela a fait trois ans que Kate McGarrigle nous a quittés. Sa fille Martha espère garder ses chansons et son souvenir vivants longtemps. Pour le reste, elle apprivoise doucement l'idée de faire la paix avec la mort de sa mère et d'enfin laisser celle-ci partir se reposer.

Quatre chansons marquantes

Martha

Une chanson composée par Rufus Wainwright pour sa soeur où il la supplie de le rappeler et de rétablir les ponts avec sa famille.

Marquee Moon

Pièce instrumentale du groupe Television, qui a beaucoup influencé musicalement la chanteuse, notamment pour le travail rythmique de la guitare.

Love Will Tear Us Apart

Magnifique et inspirante chanson de Joy Division dont les paroles sonnent tellement vraies aux oreilles de Martha.

Proserpina

La dernière chanson composée par Kate McGarrigle et qui est particulièrement poignante selon Martha parce qu'elle est écrite par une femme qui sait qu'elle va mourir.