Depuis 14 ans, sans tambour ni trompette, sans fracas ni tempête, Catherine Durand creuse son sillon. L'ancienne camérawoman de MusiquePlus, devenue auteure et interprète de douces chansons atmosphériques, nous revient avec son cinquième album, Les murs blancs du Nord, inspiré d'un voyage en Islande.

De ma table au milieu du café du Plateau où elle m'a donné rendez-vous, j'observe Catherine Durand qui pose pour le photographe. Jeans serré, petits bottillons de cowgirl sexy, longs cheveux bouclés, la chanteuse sourit, blague et semble beaucoup plus animée que les petites perles de mélancolie qu'elle enfile sur son tout dernier album, Les murs blancs du Nord.

Avant de la rencontrer, je m'étais fait une image mentale: celle d'une jeune fille sage, pudique et réservée, qui cultive un jardin secret où elle n'invite jamais personne. Mais quand Catherine Durand quitte le photographe et vient s'asseoir à ma table, je me rends compte qu'elle n'est pas si sage que je l'imaginais. Surtout: si elle est encore là après 14 ans, sans être vraiment connue ni vendre des tonnes de disques, il doit y avoir une raison, qui n'a rien à voir avec la pudeur et qui relève plutôt de la persévérance, voire de l'obstination.

Elle le confirme. «Depuis le temps, j'en ai vu des gens arriver dans le métier, faire un premier disque et puis disparaître aussi vite. Moi, je n'ai pas pris l'autoroute, j'ai pris un chemin de traverse. Je n'ai pas vendu 100 000 disques, je n'ai pas été la saveur du mois, mais je n'ai jamais frappé de mur non plus, malgré certaines périodes plus sombres et plus difficiles. Et 14 ans plus tard, je suis encore là.»

Voilà qui est dit. Arrivée sur la scène de la chanson en 1998 avec un contrat de la multinationale Warner, Catherine Durand était à l'époque seule de sa bande. Par bande, j'entends une nouvelle génération de filles auteures-compositrices-interprètes qui attendaient qu'une place se libère entre France d'Amour, Lynda Lemay et Isabelle Boulay - ce qui n'a pas tardé à arriver.

Reste que pour quiconque ne suit pas de près l'évolution de la scène musicale, et j'en suis, bien vite les noms de Catherine Durand, Catherine Major, Marie-Pierre Arthur, Chloé Lacasse, Ingrid St-Pierre, Salomé Leclerc, Fanny Bloom, Brigitte St-Aubin et Mara Tremblay se sont confondus dans un épais brouillard, d'où seules quelques exceptions, comme Coeur de pirate et Ariane Moffatt, ont réussi à émerger et à rejoindre le grand public.

Même si le brouillard ne s'est pas entièrement dissipé et que le nom de Catherine Durand tarde encore à résonner fort dans la foule, la chanteuse est toujours là, plus résolue que jamais. Elle me raconte la drôle d'aventure qui lui est arrivée le jour où une mariée s'est présentée à sa table dans un restaurant de Terrebonne, pendant qu'elle dînait avec sa mère.

«Pour son mariage, une heure plus tôt, elle avait choisi ma chanson Aujourd'hui. Elle n'en revenait pas de voir que j'étais là, dans le restaurant où avait lieu sa réception. Elle m'a demandé de venir dire un mot à ses invités, ce que j'ai fait avec un grand plaisir. C'était touchant de savoir que cette chanson, qui est une déclaration d'amour, avait trouvé son chemin jusqu'à un mariage.»

L'histoire donne une idée du potentiel rassembleur des chansons de Catherine Durand et explique pourquoi des chanteuses comme Isabelle Boulay, Stéphanie Lapointe et Renée Martel ont fait appel à ses talents d'auteure-compositrice. Pourtant, Catherine Durand n'a pas de formation musicale à proprement parler. C'est une autodidacte qui ne lit pas la musique et qui a appris à jouer de la guitare à 15 ans sur une guitare classique volée à sa soeur aînée.

La famille Durand-Drapeau, du quartier Ahuntsic, n'était pas une famille d'artistes. Son père était ingénieur pour Hydro-Québec et sa mère faisait du secrétariat. Catherine Durand a étudié au collège Mont-Saint-Louis avant de participer à un échange d'élèves en Allemagne.

«Je me suis retrouvée dans une famille d'accueil dans un petit village près de Cologne. J'ai appris l'allemand, découvert un autre monde. J'avais 16 ans et ce voyage a changé ma vie. Je suis devenue plus débrouillarde, plus indépendante, et c'est aussi à ce moment que j'ai écrit mes premières chansons.»

Pourtant, de retour au Québec, Catherine Durand s'inscrit en lettres au cégep du Vieux Montréal, avant de poursuivre en cinéma et communications à l'UQAM. L'image et les caméras la fascinent. Elle se lie d'amitié avec Claudine Sauvé, qui deviendra plus tard la directrice photo attitrée du réalisateur Podz. Catherine Durand espère elle aussi gagner sa vie comme photographe ou camérawoman. La scène, la musique et la chanson ne font absolument pas partie de ses plans.

«Je suis très terre à terre et cartésienne, explique-t-elle. Pour moi, à ce moment-là de ma vie, c'était important de faire des études et de me trouver un métier. La musique, c'était un passe-temps, un truc que je faisais avec des amis, mais qui m'apparaissait trop instable pour y faire carrière.»

Sitôt ses études terminées, Catherine Durand est engagée pour manier la caméra dans les studios de MusiquePlus, près de l'UQAM. Les multinationales ont encore de l'argent et dépêchent dans les studios de la chaîne des chanteuses comme Tori Amos, Sheryl Crow, Sarah McLachlan. Catherine Durand les observe à travers son viseur, sans imaginer que, deux ans plus tard, elle abandonnera sa caméra pour enregistrer deux disques avec Warner.

L'expérience n'est pas concluante, ni particulièrement agréable. Durand y apprend à faire des compromis - trop à son goût -, avant d'être larguée et de se retrouver seule, sans agent et sans maison de disques. Qu'à cela ne tienne, elle décide de s'autoproduire: elle remplit tous les formulaires pour obtenir des subventions et, avec ses économies, lance Diaporama.

«Ma vision du métier a complètement changé à ce moment-là. J'ai abandonné la pop-rock pour le folk, un son plus acoustique, et décidé de ne plus écrire en fonction des radios.» Elle est repêchée par Paul Dupont-Hébert de Zone 3. Lorsque ce dernier quitte son emploi pour fonder Tandem, elle le suit et lance Coeurs migratoires, qui séduit la critique et l'installe enfin dans la sphère publique comme auteure-compositrice-interprète à part entière.

Puis, c'est le silence pendant quatre ans, le temps de quitter Tandem pour Spectra Musique et, surtout, de faire un voyage en Islande avec sa grande amie Claudine Sauvé.

«On s'est retrouvées le 1er janvier 2010 à Reykjavik, au milieu de la ville et de milliers de feux d'artifice. C'était magique et inspirant: l'espace, l'horizon à perte de vue et tout ce blanc qui te plonge dans un état de calme contemplatif. Au retour, l'écriture de mes chansons s'est mise en branle. Je voulais faire un disque doux et enveloppant, à écouter le dimanche matin, qui est probablement le seul moment de la semaine où les gens prennent le temps de vivre et d'être vraiment à l'écoute.»

Musiques douces et planantes, chansons atmosphériques et aériennes, textes poétiques et impressionnistes, Catherine ne casse pas la baraque, ne donne pas dans la révolte, la dénonciation ou le style rentre-dedans. «Ma pudeur, j'y tiens, je vois mes chansons comme des toiles. Le coeur de mes chansons, je sais où il est, je peux mettre le doigt dessus, je sais de quelles expériences intimes il vient, mais je ne suis pas une raconteuse d'histoires, j'aime que les choses restent vagues et que chacun en fasse sa propre interprétation. En tant qu'artiste, je trouve qu'on se dévoile assez comme ça. Pas besoin d'en rajouter.»

Les murs blancs du Nord sera lancé le jour des élections. C'est un hasard, et surtout le fruit d'une décision prise il y a plusieurs mois. Catherine Durand sait qu'elle ne fera pas la une des bulletins avec ce nouvel opus. Mais elle en a l'habitude. Un jour, elle rejoindra la grande autoroute, mais en attendant, elle continue à avancer à son rythme et à son gré, par son chemin de traverse.