Denise Bombardier, Denise Filiatrault, Ginette Reno, Pauline Marois et Chantal Hébert ont au moins un point en commun: toutes ont été imitées jusqu'à plus soif, à la télé ou à la radio, par l'inimitable Michèle Deslauriers. Mais depuis quelque temps, si Michèle Deslauriers imite quelqu'un, c'est elle-même dans le rôle du metteur en scène de la traditionnelle revue de l'année du Rideau Vert.

Si vous prenez le métro de Montréal, vous avez entendu des centaines de fois cette voix féminine, douce et rassurante qui annonce les stations les unes après les autres et vous berce en quelque sorte vers la sortie. J'ai longtemps cru qu'il s'agissait d'une voix robotisée, conçue par ordinateur. Erreur. C'est la voix de Michèle Deslauriers, imitatrice hors pair, grande comique et, paradoxalement, figure discrète du showbiz québécois où elle travaille pourtant depuis plus de 30 ans.

Le contrat du métro est une des nombreux éléments insolites du CV de Michèle Deslauriers. Mais la chose la plus étonnante se trouve du côté de sa formation. La comédienne a commencé sa formation en 1963 au Conservatoire d'art dramatique de Montréal et l'a terminée... en 2000 avec des cours de chant chez Lucette Tremblay. C'est dire que pendant 37 ans, Michèle Deslauriers n'a cessé de se perfectionner, alternant cours de chant, cours de claquettes, cours de ballet jazz, de danse moderne, de ballet classique, de mime, de cirque, de danse folklorique. Amen.

«Mon problème depuis toujours, c'est que j'aime tout», dit-elle sans ajouter que son problème, aussi, pour pousser le perfectionnement à ce point, c'est peut-être qu'elle manque un peu de confiance en elle. Pourtant, ses preuves sont faites depuis longtemps. Tous ceux qui travaillent avec Michèle Deslauriers vous diront à quel point elle excelle dans ce qu'elle fait et à quel point elle déploie autant d'énergie que d'humilité à le faire.

Métamorphose

Le goût de raconter des histoires et d'incarner des personnages lui est venu à l'adolescence un peu par la force des choses. Sa soeur Louise, de 15 ans son aînée, avait mis au monde 12 enfants, oui 12, dont elle est devenue la gardienne attitrée, faute de volontaires.

«Pour tenir la marmaille tranquille, je leur faisais des spectacles et je devais être pas pire parce que ça marchait. Plus tard, j'ai voulu devenir danseuse de ballet, mais à Laval où on habitait, il n'y avait pas d'école. Je dessinais aussi, mais pas question d'aller aux Beaux-arts; ma mère me disait que j'allais y perdre mon âme. À l'école, j'étais plutôt timide et réservée, mais dès qu'il était question de monter un spectacle, je me métamorphosais. Je me souviens encore de la surprise des religieuses, en me voyant sur scène. Ce sont elles qui m'ont dit que je devrais faire du théâtre.»

Après le Conservatoire, Michèle Deslauriers a commencé dans le métier sur une scène inattendue: celle de l'oratoire Saint-Joseph dans le spectacle du chemin de la Croix pendant une année complète avant de devenir un pilier d'émissions pour enfants comme Nic et Pic, La Fricassée, Pop Citrouille. Elle a enchaîné dans toutes les émissions d'humour de l'époque, y compris le Bye Bye de 1981 à 1987 où ses talents d'imitatrice ont pris du coffre et de l'ampleur. Vingt ans plus tard, elle continue de livrer des imitations aussi efficaces que désopilantes à la télé chez Gérard D.Laflaque et à la radio à l'émission À la semaine prochaine.

Dans la peau des autres

Deslauriers ne sait pas d'où lui vient ce don pour se glisser dans la peau des autres et reproduire à la lettre autant leurs mimiques que les subtiles intonations de leur voix. «Il y a des gens comme ça, dès que je les rencontre, ça me rentre dedans. Je capte leur énergie, leur rythme et le reste, les expressions de leur faciès, suit.»

Ces jours-ci, Michèle Deslauriers voit souvent Denise Filiatrault et ça paraît. Dans le bistro où nous prenons un café, la comédienne disparaît souvent involontairement, faisant apparaître à sa place sur sa chaise, un ouragan du nom de Denise Filiatrault. Quand je le lui signale, elle en remet. Sa Denise déborde d'impatience et d'énergie intempestive avec une précision quasi holographique. Idem pour sa Chantal Hébert ou pour la Denise Bombardier qu'elle a créée il y a des lustres à l'émission Samedi de rire.

«Des fois, je pogne quelqu'un sur une simple phrase. Dans ce temps-là, je deviens obsédée par la personne. Je me souviens d'un matin à la maison, j'ai pris une aubergine qui traînait sur le comptoir et je me suis mise à imiter Lucien Bouchard. Il était 7h du matin et mes deux filles m'ont priée de me calmer les nerfs le temps au moins qu'elles finissent de déjeuner.»

Fière, mais pas envieuse

Avec son conjoint, le comédien Sébastien Dhavernas, qu'elle a quitté et retrouvé des dizaines de fois pendant 35 ans avant de l'épouser officiellement en Polynésie il y a 10 ans, Deslauriers a eu deux filles: Gabrielle, la psychoéducatrice, et Caroline, la comédienne qui, à 32 ans, mène une carrière enviable aux États-Unis où elle a tourné dans plus d'une douzaine de films et de séries. La semaine dernière, la belle faisait ses débuts à Carnegie Hall, avec l'Orchestre de Baltimore, dans le rôle de Jeanne d'Arc, non sans avoir appelé sa mère au préalable pour ventiler son anxiété.

«À 8 ans, Caroline savait déjà qu'elle ferait ce métier-là et il n'y avait rien pour l'en dissuader, raconte Deslauriers. Je la regarde aller et je suis très fière d'elle. En même temps, je n'envie pas sa carrière. La pression, la compétition, la performance à tout prix, je n'ai pas une ambition assez dévorante pour supporter tout ça. Moi, je veux avant toute chose avoir du plaisir à faire ce que je fais. Ma seule vraie ambition, c'est d'être heureuse.»

Moins de télé, plus de politique

Il y a quelques mois, Denise Filiatrault a proposé à Michèle Deslauriers un contre-emploi: metteur en scène du spectacle de fin d'année 2011 revue et corrigée. «J'ai dit non, raconte Deslauriers. C'était un trop gros morceau, une trop grosse responsabilité. Denise m'a dit: «Penses-y, je suis sûre que t'es capable.» Moi, j'étais pas sûre du tout.»

Deslauriers s'est finalement laissé convaincre et d'autant plus qu'elle n'en était pas à sa première mise en scène. Depuis 2004, discrètement et sans en faire un plat, elle a signé la mise en scène de trois opéras-bouffes et de deux pièces: Bousille et les Justes et La vie de Galilée.

Dès les premières répétitions au Rideau Vert avec Suzanne Champagne, Véronique Claveau et compagnie, Deslauriers a donné le ton, favorisant la collégialité et le consensus, plutôt que l'autorité frontale.

«Moi, je viens de l'époque des créations collectives, explique-t-elle; alors j'ai laissé beaucoup de liberté aux interprètes. Pour le reste, je me suis assurée qu'il y ait moins de parodies d'émissions de télé et plus de politique. On fera une fleur à Jack Layton, mais pas aux Québécois qui ont voté pour des poteaux.»

Parmi les auteurs de la revue, on trouve nul autre que Sébastien Dhavernas, ex-candidat du Parti libéral dans Outremont. Deslauriers a gardé une certaine amertume de l'aventure politique de son mari. «On a perdu des amis. Sébastien s'est fait traiter de vendu, de sale cochon, de traître. On a eu des menaces. Les gens n'ont pas compris que Sébastien a sauté la clôture d'abord et avant tout pour freiner Harper.»

Les choses se sont calmées depuis et celle qui déteste les conflits et la querelle a retrouvé le plaisir de jouer, sur les planches et derrière une caméra ou un micro. Et le bonheur de le faire en se prenant pour une autre.

2011, revue et corrigée, au Théâtre du Rideau Vert jusqu'au 14 janvier 2012.