Lire arrive loin derrière la musique, l'utilisation de l'ordinateur et le cinéma parmi les pratiques culturelles privilégiées par les cégépiens. Un romancier, Patrick Senécal, se hisse pourtant en quatrième position de leurs artistes favoris, devant un certain Johnny Depp.

«Ce que je trouve difficile, c'est de trouver un livre dans lequel j'embarque. Si je n'embarque pas dans les 20 premières pages, je me décourage», avoue Kim Barrette, 17 ans. Ses amies, réunies dans la cafétéria du cégep de Lanaudière, à Terrebonne, acquiescent.

La lecture est l'activité culturelle la plus prisée de seulement 6,5% des cégépiens, juste avant la visite de musée ou d'expositions. Les filles sont deux fois plus nombreuses à l'apprécier que les garçons. Ceux qui lisent connaissent toutefois à coup sûr les thrillers d'horreur de Patrick Senécal.

«Mes élèves me demandent souvent pourquoi ses livres ne sont pas au programme, dit Isabelle Paquet, enseignante au cégep Édouard-Montpetit. Ils n'ont pas besoin de moi pour le lire, mais ça va me faire plaisir de les mettre en contact avec Anne Hébert...»

L'auteur de Hell.com et des 7 jours du talion n'est pas seulement l'écrivain québécois favori des cégépiens; il est aussi l'un de leurs artistes préférés, devant une foule de grande vedettes internationales.

L'immense popularité du romancier met au jour un paradoxe: la lecture n'est peut-être pas l'activité favorite des cégépiens, mais ils lisent. Un peu plus de la moitié (51,9%) de ceux que La Presse a sondés disent d'ailleurs lire «pour le plaisir» au moins une ou deux fois par semaine, et jusqu'à plus d'une heure par jour ou presque (pour 21% d'entre eux).

«Ça montre que les livres populaires, ils les lisent», estime Annissa Laplante, professeure au département de français du cégep de Sherbrooke, qui cite les Twilight et autres Harry Potter. Deux jeunes sur trois (67%) disent d'ailleurs acheter au moins un livre par année. Et un sur cinq en achète au moins cinq (24% des filles et 15% des garçons).

«Je me demande ce qu'ils lisent, s'interroge néanmoins Janie Tremblay, enseignante au cégep Maisonneuve. Est-ce que ça inclut le journal Métro, avec lequel ils arrivent souvent en classe? Est-ce que ce «une heure ou plus» par jour inclut les lectures obligatoires? Ça me paraît beaucoup pour des gens qui ne me semblent pas être des lecteurs.»

Aimer ou pas

Hélène Vachon, qui a signé le chapitre sur la lecture dans L'enquête sur les pratiques culturelles du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine publiée le mois dernier, juge plausible que les jeunes lisent plus qu'on ne croit (mais pas une heure par jour). «C'est une chose dont on se rend de plus en plus compte», dit-elle. L'intérêt pour la lecture a d'ailleurs connu une légère hausse chez les 15-24 ans entre 1999 et 2004.

La notion d'habitude est capitale, dit-elle. En arriver à ce que lire devienne naturel et source de plaisir constitue un réel défi. Parmi ceux qui n'achètent jamais de livres ou presque, 60% des garçons et 38% des filles expliquent que la lecture ne les intéresse tout simplement pas. Les 15-24 ans représentaient d'ailleurs le tiers des 30% de la population qui disait ne pas aimer lire, selon la dernière enquête du ministère de la Culture. Ce genre de chiffres incite Hélène Vachon à s'interroger sur la capacité de l'école à «créer» des lecteurs.

Selon les enseignantes interrogées, l'accompagnement dans la lecture est fondamental. C'est en expliquant le contexte d'une oeuvre et en démontant sa mécanique qu'on amène l'élève à en saisir la portée. Annissa Laplante en est convaincue: «L'école demeure un vecteur important de l'amour et de la compréhension de la lecture.»