Quels artistes font vibrer les jeunes? Que regardent-ils, qu'écoutent-ils? Et comment? voici un portrait de la nouvelle génération et de son rapport à la culture. Il n'est ni noir, ni rose: il a la couleur du temps qui passe, laissant dans son sillage d'autres façons d'être.

Génération branchée

Avec les jeunes, la culture se dématérialise. Selon notre sondage, plus de trois cégépiens sur cinq possèdent un ordinateur dans leur chambre. Ils l'utilisent notamment pour écouter de la musique (76%) et pour regarder des vidéos (62%), des émissions de télévision (38%) ou des films (32%).

Les cégépiens semblent avoir du même coup assimilé la maxime de l'essayiste Chris Anderson: «L'information veut être gratuite.»(1) Dans la dernière année, moins du tiers ont acheté de la musique en ligne tandis que plus de 90% en ont téléchargé gratuitement. Un problème? Pas selon eux. Moins de 7% disent être «contre le piratage» et ne jamais s'y livrer. Et 16% sont «contre» mais admettent le faire «parfois, au hasard».

Génération atomisée

Même si les fichiers informatiques se partagent, l'expérience culturelle se vit de plus en plus en privé. Les goûts des cégépiens ne diffèrent pas trop de ceux du reste de la population. Leurs auteurs québécois préférés: Patrick Senécal, Michel Tremblay et Marie Laberge. Leurs films préférés: Avatar, De père en flic et Twilight. Leurs artistes préférés (toutes catégories confondues): Louis-José Houde, Martin Matte et Rachid Badouri. Même Céline Dion figure auprès des Cowboys Fringants dans le palmarès de leurs musiques favorites.

Ce qui a changé, c'est qu'ils apprécient ces oeuvres et divertissements chacun de son côté. La nouvelle génération regarde la télé quand bon lui semble, sur son ordinateur. Et elle délaisse un peu les salles de spectacle. Le public des spectacles de théâtre, de musique et d'humour vieillit plus vite que la population en général.

Génération créative

Grâce à l'ordinateur, la culture se vit moins passivement. Près de la moitié des jeunes (47%) exerce une activité de création au moins trois fois par semaine. Un jeune sur trois peint ou dessine. Et le tiers utilise son ordinateur pour créer ou partager des créations audiovisuelles.

Génération occupée

Si les cégépiens consomment la culture différemment, c'est peut être aussi parce qu'ils ont moins de temps pour le faire. «Mes élèves ont presque des agendas de ministres. Une de leurs phrases préférées est: «Je n'ai pas le temps»», dit le sociologue Jacques Roy, professeur au cégep de Sainte-Foy et chercheur à l'observatoire Jeunes et Société.

Génération instruite

Il n'y a pas de raison de désespérer des jeunes. De 1975 à 2006, le taux d'obtention du diplôme d'études collégiales (DEC) est passé de 22,2% à 47,6%. Plus diplômés qu'avant, donc. Mais plus cultivés? «C'est très difficile à mesurer», avoue Jacques Roy. Certains disent que, certes, plus de jeunes obtiennent un diplôme, mais ce dernier ne vaut pas grand-chose(3). «Je dirais plutôt que les jeunes sont cultivés différemment, poursuit M. Roy. Ils s'intéressent moins à l'histoire et aux connaissances classiques. Leur rapport à la culture est plus pragmatique. «À quoi ça sert, de savoir ça?» me demande-t-on souvent.»

Qu'en pensent les principaux intéressés? Ils ne s'estiment pas particulièrement cultivés. Un cégépien sur trois se dit moins cultivé que ses parents. Seulement un sur cinq se trouve plus cultivé.

Génération bombardée

Si les cégépiens s'estiment moins cultivés que leurs parents, c'est bien sûr parce qu'ils n'ont pas encore terminé leurs études. Mais, paradoxalement, c'est peut être aussi à cause de la prolifération de l'offre culturelle. Dans notre sondage, 63% des cégépiens disent avoir un meilleur accès à la culture que leurs parents. Grâce à l'internet, «le monde est dans leur chambre à coucher», résume le sociologue Gilles Pronovost, professeur retraité de l'UQTR et auteur de nombreuses études sur les jeunes.

«Face à toutes ces informations, leur rapport devient fuyant, soutient Jacques Roy. Comme s'ils consommaient des clips. Ça me rappelle une phrase de Pierre Bourgault: ce n'est pas parce qu'on a plus d'information qu'on est mieux informé.»

M. Roy semble abonder dans le même sens que Is Google making us stupid?(2), texte marquant de Nicholas Carr. L'auteur américain y parle surtout du traitement de l'information. Mais on pourrait étendre ses conclusions à la culture. Les jeunes seraient ainsi des abeilles qui butinent frénétiquement d'une oeuvre à l'autre jusqu'à l'étourdissement.

Génération métissée

Les oeuvres québécoises se perdent dans la masse et, en plus, les jeunes les cherchent moins qu'auparavant, toujours selon Jacques Roy: «Ils tiennent au français mais, en même temps, ils sont très attirés par l'anglais. Pour eux, ces identités ne sont pas exclusives.» Seulement 6% des cégépiens sondés préfèrent la musique en français. Seulement 8% préfèrent le cinéma québécois. Et parmi leurs émissions télé préférées, seulement trois sur 15 sont québécoises.

(1) Free: The Future of a Radical Price, Chris Anderson, Hyperion, 2009. Du même auteur, voir aussi The Long Tail.

(2) «Is Google Making Us Stupid?» Nicholas Carr, Atlantic Magazine, juillet-août 2008. Sur le même sujet, voir aussi l'étude Does Choice Mean Freedom and Well Being? de H. Markus et B. Schwartz (résumé par le Telegraph au https://bit.ly/abaq7U)

(3) Pourquoi nos enfants sortent-ils de l'école ignorants?, Patrick Moreau, Éditions Boréal, 2008.