Victor Lévy-Beaulieu sera honoré, dimanche, du Grand Prix de l'Académie du cinéma et de la télévision pour son oeuvre prolifique dont les récits ont été largement diffusés sur les ondes. Ironiquement, c'est hors des ondes que le prix sera remis cette année, ce que déplore l'écrivain au point de choisir de ne pas se présenter au gala des prix Gémeaux pour recevoir son prix en personne.

L'auteur estime qu'au moment où le français recule au Québec, mieux vaudrait ne pas laisser ceux qui contribuent à nourrir la culture dans l'ombre. Le choix d'octroyer le prix loin des projecteurs, soit dimanche après-midi lors de l'avant-première qui ne sera diffusée que sur le web, irrite Victor Lévy-Beaulieu qui y voit aussi un certain mépris du public.

Bien qu'il admette, dans une lettre adressée aux médias, «être atteint dans son orgueil», l'écrivain interprète la décision de remettre le prix hors des ondes comme un symptôme qui illustre combien la littérature se marginalise au sein d'une culture qui se veut de plus en plus populiste.

«C'est une symbolique qui rejoint ce que l'on voit de plus en plus à la télévision, soit l'importance de moins en moins grande que l'on accorde aux écrivains, à moins qu'ils soient très populistes», a affirmé M. Lévy-Beaulieu lors d'une entrevue accordée à La Presse Canadienne, samedi soir.

Victor Lévy-Beaulieu se dit inquiet, affirmant que lorsque l'on met l'écrivain sur la «voie de garage», la société et les médias ne contribuent pas à transmettre le plaisir de lire et la richesse de la culture. Il juge que ce faisant, cela revient à dire que les écrivains deviennent de plus en plus marginaux dans l'industrie culturelle.

«(...) ce mouvement est commencé et j'ai l'impression qu'il ne s'arrêtera plus maintenant, craint M. Lévy-Beaulieu. On évacue l'écrivain de tous les lieux d'accueil où il pourrait être important, comme si on ne voulait plus le voir, comme s'il n'était qu'un petit rouage dans la machine, et sans croire que s'il n'y a pas d'écrivain, s'il n'y a pas de texte, il n'y a rien», fait aussi remarquer l'auteur de téléromans à succès tels l'Héritage, Montréal P.Q. et Bouscotte.

M. Lévy-Beaulieu est d'autant plus choqué de cette décision que durant 25 ans, il dit avoir écrit pas moins de 35 000 pages, représentant 450 heures de diffusion, pour le petit écran de la Société Radio-Canada, qui diffusera le volet principal du gala des Gémeaux, dimanche soir. Des téléromans qui ont été suivis par des millions de téléspectateurs, note-t-il.

Malgré tout, M. Lévy-Beaulieu se dit heureux que l'on ait pensé à lui pour le Grand Prix de l'Académie du cinéma et de la télévision, et il a tenu à remercier, dans sa lettre, les comédiens, les réalisateurs et les artisans, mais aussi les téléspectateurs.

«Cet honneur, pour moi, représente la reconnaissance de l'intelligence du public qui, contrairement à ce que bien des gens croyaient, a suivi mes téléromans de façon passionnée», a-t-il confié à La Presse Canadienne.

«Quand je pense que lors de la troisième année de l'Héritage, la moyenne de diffusion a été de 1 953 000 téléspectateurs et que nous avons eu des pointes de 2 500 000 personnes, c'est beaucoup de monde qui a pris intérêt à une émission qui n'était pas facile, qui était dure. Cela me fait dire que, souvent, on méprise le public en ne le pensant pas capable d'absorber des choses beaucoup plus difficiles que ce que l'on voit généralement, et surtout depuis quelques années, à la télévision.»

Dans sa missive, par ailleurs, Victor Lévy-Beaulieu a tenu à avoir une pensée pour l'auteur Claude Robinson, qu'il jouxte à sa dénonciation.

«Claude Robinson est le symbole même du combat que les écrivains, les scénaristes et les scripteurs doivent désormais livrer pour ne pas disparaître «hors des ondes»', affirme M. Lévy-Beaulieu.

«Ce combat, Claude Robinson le mène de façon exemplaire depuis de nombreuses années. Sa carrière et sa vie en ont été ruinées. Il faut avoir beaucoup de courage pour résister ainsi et souvent en dépit du fait que la solidarité se porte manquante au combat. Si j'avais été membre du jury de l'Académie, c'est à lui que j'aurais remis le Grand Prix cette année. Et non pas «hors des ondes', mais sous les projecteurs les plus lumineux qui soient.»