L'aventure a commencé par un appel téléphonique, en janvier dernier. Serge Denoncourt, fébrile, voulait passer chez Francis Collard. Tout de suite. Les deux créateurs se connaissaient déjà: le musicien et réalisateur, qui a notamment collaboré avec Ariane Moffatt et le Cirque du Soleil, avait déjà participé à un projet du réputé metteur en scène. «Serge est venu à mon studio et il a passé deux heures à me raconter son projet», se rappelle Francis Collard. Le soir même, il travaillait sur les chansons de GRUBB.

Six mois plus tard, et après deux courts séjours à Belgrade, le réalisateur a relevé le défi. Avec l'aide de collaborateurs serbes, il a orchestré un album foisonnant où fanfare balkanique, mélodies sinueuses et chant rom s'entrechoquent de manière enlevante dans des chansons qui doivent beaucoup au hip-hop. Une mixture à cheval entre tradition et modernité qui constitue la trame musicale de GRUBB - Gypsy Roma Urban Balkan Beats - comédie musicale aux ramifications humanitaires sur laquelle Serge Denoncourt planche depuis deux ans.

GRUBB fait partie d'un projet artistique et éducatif qui vise à favoriser la scolarisation des jeunes Roms. Pour inciter les enfants et adolescents à rester à l'école, l'ONG britannique RPOINT a décidé d'en faire une règle: pour avoir accès aux ateliers de musique et de danse qu'elle offre à Belgrade, Nis et Novi Sad, les jeunes doivent suivre un cursus scolaire. La comédie musicale s'inscrit dans le prolongement de cette initiative et vise à donner une voix à ces Roms qui, depuis leur jeune âge, souffrent de discrimination et de pauvreté.

Hip-hop gitan

Les racines du spectacle monté par Serge Denoncourt se trouvent dans un disque enregistré il y a environ trois ans lors d'une phase préliminaire du projet. Radan Dordevic, un musicien et DJ serbe, était déjà impliqué à l'époque. Il n'est pas rom, mais a grandi près de la gare de Belgrade, dans un quartier «très gitan». Avec son ami Urosh Petkovic, serbe lui aussi, il a contribué à forger le «son GRUBB», caractérisé par des couplets rappés et des refrains plus gitans.

«Je suis tombé en amour avec ce son-là!», clame Francis Collard. Les adolescents roms, eux, furent plus difficiles à convaincre que c'était la voie à suivre... «Plusieurs des jeunes ont vécu ailleurs en Europe avec leurs familles et sont rentrés en Serbie parce qu'ils ont été expulsés ou pour d'autres raisons. Ils n'avaient pas écouté beaucoup de musique rom. Leurs modèles, c'était plutôt 50 Cent et Dr. Dre. Ils voulaient faire du gangsta rap, pas de la musique gitane», affirme Radan Dordevic, rencontré plus tôt ce printemps à Belgrade.

Pour tout dire, les jeunes rappeurs n'étaient pas très chauds à l'idée d'une musique sur laquelle leurs tantes pourraient avoir envie de danser... Mais ils se réclament désormais de ce hip-hop rom qui déborde d'une énergie et d'une folie en effet bien capable de donner envie de danser à tout le monde, même à des matantes et des mononcles. GRUBB ne sonne comme rien d'autre, mais ne demande aucun apprivoisement: on ne résiste pas à sa pulsation percutante et à ses refrains dangereusement accrocheurs. Ce n'est pas un mince exploit: les jeunes Roms qui ont écrit les textes et créé les mélodies ont tout appris sur le tas.

Francis Collard admet avoir été un peu désarçonné lorsqu'il a été appelé en renfort pour mettre de l'ordre dans les pistes déjà enregistrées et propulsé dans cet univers musical qu'il connaissait mal. Il a toutefois donné aux chansons une forme optimale, en équilibre entre foisonnement et simplicité. «La musique sortait de partout, alors j'ai dû faire le tri. J'ai eu du mal à couper, admet le réalisateur, parce que j'aimais tout ce que j'entendais!»

L'album est l'avant-dernier épisode de l'aventure GRUBB. Après des générales à Belgrade et à Londres, la comédie musicale sera en effet présentée en première officielle au Festival international de jazz de Montréal. Francis Collard espère cependant poursuivre sa collaboration avec ces jeunes Roms auxquels il est très attaché. «J'essayais depuis longtemps de trouver un moyen d'aider avec ma musique, confie-t-il. Et Serge est arrivé avec cette cause-là. C'est un projet auquel je veux rester lié longtemps.»

La comédie musicale GRUBB, dirigée par Serge Denoncourt, à la salle Pierre-Mercure à compter du 27 juin.