Il a été l'auteur-compositeur mélancolique de La Boulé, le rocker révolté d'Entre deux joints, le pape psychédélique de Tout écartillé, l'électron libre de l'Osstidcho, le mari comblé de Heureux en amour?, le golfeur impénitent de Swing Charlebois, le doux, le sauvage, la bête de scène, la bombe d'énergie, le revenant, le survivant, le brasseur de bières, le chanteur populaire, le crooner, le jet-setter, l'idole d'une génération, l'éternel caméléon, l'incorrigible adulescent et quoi encore?

Je pourrais continuer ainsi pendant des heures pour rendre compte des 50 dernières années de la carrière de Robert Charlebois. Cinquante ans! Déjà?

Je le retrouve exactement où je l'ai vu la dernière fois, il y a quatre ans, au sous-sol des bureaux de production de La Tribu, rue Saint-Denis. Cette fois-ci, il ne revient pas de la Guadeloupe où il a une maison depuis 30 ans, mais de Cannes, Monaco et de Roland-Garros. Rien de trop beau pour la classe affaires...

Toujours aussi mince, sa boule de cheveux frisés moins abondante qu'à 30 ans, mais encore très fournie avec à peine quelques filaments de gris. Est-ce possible? Le chanteur va avoir 69 ans, le 25 juin. Il est donc à quelques semaines d'entrer dans sa 70e année sur Terre et ne peut pas tabler sur la génétique de ses parents, morts à 56 et 60 ans.

Pourtant, exception faite de son visage un peu plus plissé qu'avant, c'est toujours le même Charlebois: drôle, comme un singe, distribuant ses remarques comme autant de flashs qui semblent spontanés, mais ne le sont pas. Je soupçonne en effet Charlebois d'écrire un scénario, comme un «set list» sans musique, chaque fois qu'il revient sous les réflecteurs pour lancer un disque, une compilation, un nouveau show ou un événement comme celui qu'il prépare pour fêter ses 50 ans de carrière le 15 juin à la salle Wilfrid-Pelletier, dans le cadre des FrancoFolies.

Les scénarios changent de thème selon l'occasion, mais sont servis en même temps à tous les médias. Cette fois, par exemple, le scénario tourne autour des débuts de Charlebois un après-midi, en 1963, au Café des artistes, avec les amis du temps (Clémence et un dénommé Jean-Paul Filion). Une guitare traînait dans le café. Charlebois s'est mis à la gratter et à chanter La boulé. Jean-Paul Filion lui a dit: en as-tu d'autres comme ça?

C'est ce que Charlebois m'a raconté, ce qu'il a raconté au micro de René Homier-Roy et ce qu'il risque de répéter à tous les micros sur sa route jusqu'au 15 juin.

Pourtant, ce n'est pas de ses débuts que je voulais lui parler, mais de sa longévité et du fait que 50 ans plus tard, Charlebois est encore presque aussi frais qu'au premier jour, toujours dans le coup, toujours jeune d'esprit, animé de la même énergie.

La seule chose qui a changé, c'est que l'homme s'est adouci, est moins baveux et arrogant qu'à ses débuts, et semble avoir compris qu'on n'attire pas des mouches ni des journalistes avec du vinaigre.

Je lui demande quel est son secret, sa recette magique pour avoir tenu la route sans devenir un vieux croulant bedonnant ou un célèbre has been.

«La synchronicité, me répond-il. J'ai toujours été synchrone avec mon temps, mon époque, ma société. Je me suis construit à travers mes rencontres et à travers les gens vers qui je suis allé. Par exemple, si ce n'était de ma grand-mère, je n'aurais peut-être jamais appris le piano. Ma grand-mère adorait Liberace. Lorsqu'il passait à la télé, tout s'arrêtait dans la maison. Voyant ça, à 8 ans, je me suis mis au piano.»

C'est un exemple parmi mille, mais il illustre bien que dès l'âge de 8 ans, Charlebois avait commencé à être à l'affût des autres, de la vie, de la nouveauté. Plus tard, après avoir fondé un premier band de garage avec Jean-Guy Moreau, un autre changement s'opère.

«Jean-Guy avait commencé à faire des imitations, mais après une imitation de Félix, il m'a demandé comment il allait faire pour m'imiter moi, vu que j'avais la même voix que Félix. Ça m'a poussé à me trouver une autre voix.»

Cette semaine à la radio, l'entraîneur d'Alexandre Despatie expliquait qu'une des grandes forces du plongeur était son attitude devant la rétroaction (le feedback). Il saisissait tout de suite ce qui n'allait pas et ne perdait pas de temps à le corriger. Charlebois semble avoir le même talent rétroactif. Et la même rapidité de réflexes.

«Le talent, poursuit Charlebois, c'est de la sensibilité, de l'imagination et de la chance. Mais comme disait l'autre, la chance, elle passe tout le temps, mais l'important, c'est comment tu te prépares pour le moment où elle va passer. Moi, j'ai eu la chance de ne pas gagner au Festival de Granby et de profiter de cet échec pour me préparer pour Spa où j'ai tout gagné. Il y a beaucoup de gens qui m'ont donné ma chance et certains aussi qui me l'ont enlevée, mais ceux-là, je préfère les oublier.»

Charlebois jure que le jour où il perdra ses cheveux, il accrochera son micro, ce qui n'est pas demain la veille. Il raconte aussi qu'il n'a pas envie de finir comme Moustaki. «La déchéance pendant quatre ans, enfermé chez toi parce que tu n'es plus montrable, très peu pour moi. Je ne m'en cache pas, je suis pour le droit de s'en aller.»

Heureusement, nous n'en sommes pas là. Charlebois est en forme, en santé, prêt à revisiter 50 ans de chansons avec ses chums du moment, qui vont de Pierre Lapointe à Alain Souchon, en passant par Dumas, Dufresne et compagnie.

Pour certains, 50 ans, c'est une éternité. Pour Charlebois, ce demi-siècle a passé en un éclair. Il a toujours été un homme de son temps. Et si le passé est garant de l'avenir, il le restera longtemps.

Lindberg

Pour la révolution psychédélique, sa rencontre avec Louise Forestier et parce que c'est son premier gros succès.

Ordinaire

Pour le texte de Mouffe et parce qu'on peut la chanter au piano, avec grand orchestre ou dans le métro avec une guitare.

Je reviendrai à Montréal

Son classique intemporel qui a traversé le temps et l'Atlantique.

J'veux de l'amour

Pour Réjean Ducharme et le numéro d'acteur de chanteur désespéré qui, certains soirs, n'est pas un numéro.