Les groupes français Fauve, Granville et La Femme n'avaient pas encore lancé d'album quand les FrancoFolies les ont invités à Montréal. Mais ils étaient portés par une rumeur favorable provoquée par des chansons ou des clips sur le web qui ont frayé leur chemin jusqu'aux oreilles d'un nouveau public.

Granville a d'abord mis en ligne sa chanson Le slow que la radio universitaire montréalaise CISM a été la première à faire tourner. Fauve a proposé ses clips sur l'internet et ses concerts ont affiché complet bien avant la parution de son premier EP, Blizzard, le 20 mai dernier. Quant à La Femme, une rumeur favorable les avait déjà emmenés aux Francos en 2011 même si leur premier album, Psycho Tropical Berlin, vient tout juste de paraître.

«Ce phénomène-là existe depuis longtemps dans le monde de l'électro et du hip-hop, mais l'importance de l'internet est relativement récente dans la pop francophone, constate Laurent Saulnier, VP programmation des FrancoFolies de Montréal. Quand on a invité La Femme en 2011, on avait de la difficulté à trouver autre chose sur l'internet que trois clips et quart cheapos filmés avec des téléphones, mais il y avait là-dedans quelque chose qu'on ne trouvait nulle part ailleurs.»

Cette nouvelle réalité est emballante pour un programmateur en ce qu'elle lui permet de présenter ici un groupe comme Fauve qui n'a qu'une quinzaine de concerts dans ses bagages, mais elle lui pose également un défi. «Ça nous amène à faire des gestes beaucoup plus rapides qu'avant, reconnaît Saulnier. Mais présenter Fauve maintenant aux Francos, à Montréal, a vraiment du sens.»

En les invitant si tôt dans leur carrière, les Francos font également le pari que ces groupes vont entretenir une relation étroite avec le festival dont ils deviendront des habitués. «On essaie de faire avec les groupes et les artistes français le même travail qu'avec des artistes québécois qui sont passés par les Francos avant même de sortir un album ou qu'il y ait un buzz autour d'eux, explique Saulnier. La grande difficulté avec les Européens, c'est qu'il n'y a pas de relais, on est les seuls. Malgré toute leur bonne volonté, Warner avec Granville ou Universal avec La Femme ne peuvent pas donner la priorité à ces groupes-là et faire en sorte qu'il y ait, au Québec, une actualité continuelle avec ces groupes-là.»

Fauve : thérapeutique

Les deux membres de Fauve que je rencontre au centre de presse préfèrent ne pas s'identifier, ne serait-ce que par leur prénom. «Histoire de parler d'une seule voix: on est Fauve. C'est également une façon de se protéger. Comme on parle déjà de nos vies, et dans des détails très intimes, on préfère mettre plutôt l'accent sur la musique», disent le guitariste et le vidéaste du «collectif ouvert».

Le lendemain après-midi, la petite salle du 22 Ouest est bondée. La rumeur qui a propulsé Fauve parmi les groupes à suivre a atteint Bourges un bon mois avant la sortie de son premier minialbum, Blizzard, le 20 mai. Le «chanteur» du groupe, au débit ultrarapide, arpente sans arrêt la scène comme un possédé. Dans le coin gauche, le vidéaste mixe en direct sur écran des images qui font tout autant partie de la création de Fauve que ses textes et ses musiques nourries par les guitares.

«On part de ces textes-là, qu'on peut comparer un petit peu à une sorte de rap avec du slam, et on essaie de créer des images et de la musique qui vont réussir à les propulser», explique le guitariste.

«Ça reprend les codes du rap, mais en même temps, ça n'en est pas», intervient le vidéaste.

Le guitariste corrige aussitôt le tir: «Notre démarche est un peu similaire à celle des rappers qui racontent leur vie. On n'a pas le type de vie des rappers, on ne raconte pas la même chose, mais on a des textes un peu bruts, en prose, pas de rimes.»

Fauve a emprunté son nom au film culte Les nuits fauves de Cyril Collard, cinéaste mort du sida quelques jours avant que son film gagne un César en 1993, et deux chansons de Blizzard s'en inspirent. Mais les cinq gars ont l'impression que ce qu'ils font est unique, dans leur génération, en France, en tout cas. Ils jouaient hier au Bataclan (1500 places), qui a affiché complet en moins de 24 heures, et s'amènent à Montréal alors que leur carrière démarre à peine.

«Quand on nous l'a proposé [les Francos], on n'y croyait pas vraiment, reprend le guitariste. Cette rumeur, elle est chouette parce qu'elle nous ouvre des portes. Mais elle est aussi hyper dangereuse parce qu'elle crée des attentes qui peuvent être un peu démesurées par rapport à l'expérience qu'on a. On a fait une quinzaine de concerts pour l'instant, c'est très peu. L'essentiel, c'est que la musique qu'on fait est vraiment partie d'un besoin. On raconte nos frustrations, nos joies et nos peines, c'est un exutoire. C'est une approche un petit peu égoïste, un petit peu thérapeutique.»

QUI : Un «collectif ouvert» de cinq membres, dont un vidéaste, formé il y a deux ans.

GENRE : Des textes parlés sur des musiques pop aux rythmes hip-hop.

À ÉCOUTER : Le minialbum Blizzard, sorti le 20 mai.

INFLUENCES : Une démarche qui s'apparente à celle des rappers.

ARTISTES INSPIRANTS : Surtout des écrivains et des cinéastes, de Jim Harrison à Soljenitsyne, de Cyril Collard à Bertrand Blier.

Fauve, 18 juin, 22h, Scène Loto-Québec; 19 juin, 21h, Métropolis, En première partie de Benjamin Biolay

Photo: fournie par le groupe

La femme : c'est chaud!

Le rendez-vous était fixé en après-midi, une demi-journée après un concert tellement torride que je m'attendais presque à voir arriver Marlon Magnée et Sasha Got tout en sueur. Au contraire, les deux membres fondateurs de La Femme étaient plutôt cool..

«Quand on voit que le public est chaud et qu'il est vraiment présent, on est encore plus en interaction et plus on est en interaction, plus l'ambiance monte», de dire Marlon, le claviériste et chanteur qui forme un duo de choc avec la chanteuse Clémence Quelennec.

Dès 2011, La Femme a surfé sur un buzz qui lui a valu une invitation sur une scène extérieure aux Francos de Montréal. Depuis, toutefois, le groupe s'est fait très discret jusqu'à la sortie de son premier album, Psycho Tropical Berlin, en avril dernier.

«On attendait le bon contrat et on a décidé d'entreprendre la production du disque nous-mêmes plutôt que de signer avec le premier venu, d'expliquer Marlon. Et on a pris du temps pour la production parce qu'on était pointus sur le plan du son et on voulait vraiment être à 100 % satisfaits. Finalement, on a créé notre label et on a fait une licence avec Barclay, donc Universal, pour les pays francophones. Du coup, on peut trouver un autre label au Japon, en Angleterre ou aux États-Unis.»

Les ambitions planétaires font partie du code génétique de ce groupe dans la jeune vingtaine dont les deux membres fondateurs sont de Biarritz. Avant même que le groupe atterrisse ensemble à Montréal en 2011, une délégation de La Femme avait fait une tournée aux États-Unis grâce aux liens établis avec des amis surfeurs. «Quand on a fait notre tournée aux États-Unis, il ne se passait rien en France. Mais pendant qu'on était aux États-Unis, on a sorti un EP et, quand on est revenus en France, il y avait des tapis rouges partout. Par la suite, tout le monde nous a appelés pour faire des festivals et on nous a offert les FrancoFolies à la dernière minute parce qu'un groupe s'était désisté.»

Le répertoire de La Femme se compose de morceaux plus Berlin, plus binaires, plus boîte à rythmes et de choses plus Motown, psyché, sixties, explique Marlon. «Des fois, la partie eighties prend le dessus, des fois, c'est la partie sixties.» Il arrive même qu'un theremin ou un sitar se glissent parmi les synthés, les claviers, les guitares et les percussions de ce groupe éclectique qui mêle l'électro au surf.

«On est jeunes, mais on a toujours été passionnés par la musique d'avant ; on écoute très peu de musique moderne, explique Marlon. Mais notre force, et ce qui fait qu'on a notre propre son aujourd'hui, c'est qu'on ne s'est pas limités. On ne s'est pas dit: «Tiens, on va faire du revival.» Nous, on s'en fout: on fait juste de la bonne musique.»

QUI : Sextette formé en 2010.

GENRE : Électro-pop dansante qui flirte avec le surf.

À ÉCOUTER : L'album Psycho Tropical Berlin, paru en avril 2013.

INFLUENCES : Kraftwerk, Dick Dale, les Ventures.

ARTISTES INSPIRANTS : Barbara, Gainsbourg, Velvet Underground, Sex Pistols.

La Femme, 19 juin, 22 h, Scène Loto-Québec; 20 juin, 19 h, Club Soda, première partie de Peter Peter

Photo: fournie par Universal

Granville : québécophile

Le guitariste Sofian El Gharrafi a le sourire bien accroché dans la minuscule loge où il nous accueille en compagnie de la toute jeune chanteuse Melissa Dubourg et du batteur Arthur Allizard: «On a l'impression d'avoir créé le groupe il y a deux jours dans notre salon et on est au Printemps de Bourges. C'est assez dingue, ce qui se passe, et on est super fiers.»

Sofian, Arthur et le bassiste Nathan Bellanger avaient fait leurs premières armes dans des groupes qui chantaient en anglais quand ils ont découvert des vidéos de Melissa sur le web. «Elle chantait dans un duo folk et on adorait sa voix. On s'est rencontrés, on a discuté, le courant est bien passé et on a eu l'idée de former Granville», se souvient Sofian.

Quatre mois à peine après la parution de leur album homonyme, les voilà qui s'amènent à Montréal où, d'une certaine façon, tout a commencé pour eux, six mois avant de signer un contrat avec le label EastWest de la famille Warner. Sofian raconte: «On a mis notre chanson Le slow en téléchargement gratuit sur l'internet et CISM a été la première radio à la diffuser en décembre 2011.» Arthur ajoute: «Quand on a vu que CISM nous faisait jouer, on a dit: «Un jour, on ira à Montréal.»»

Il y a loin de Granville, la station balnéaire de la côte normande qui a donné son nom au groupe, au Québec. Pourtant, Granville cite Malajube et La Patère rose parmi les groupes qui l'ont le plus marqué.

«La scène québécoise nous a un peu décomplexés, affirme Sofian. Vous osez parler plus simplement qu'en France de choses de la vie de tous les jours que beaucoup peuvent trouver futiles et en faire des vraies chansons avec du sens. On a besoin nous aussi, en France en 2013, d'une pop un peu plus légère. On a grandi avec des groupes français qui chantaient des messages politiques, écologiques, des trucs qui nous concernent au jour le jour. On est très impliqués citoyennement, sauf que quand on fait de la musique, on a envie de s'évader. Le premier truc qu'on a trouvé d'un peu plus léger, ç'a été Malajube qui peut sortir des fulgurances super poétiques, des chansons à la fois drôles et amères comme La monogamie et d'autres beaucoup plus légères.»

Granville cite également des chansons françaises des années 60 comme La Madrague de Brigitte Bardot et Tout finit à St-Tropez d'Annie Philippe, qui parlent de plage, de vacances, mais aussi d'amours déçues. «C'est une manière de dépeindre les choses qu'on emprunte au cinéma qu'on aime bien, celui de Michel Gondry, de Wes Anderson et de Xavier Dolan qui, lui aussi, réussit à mettre en scène certaines situations un peu cocasses dans la forme en y ajoutant quelque chose d'un peu grave ou amer.»

QUI : Quatuor de Normandie formé en 2011.

GENRE : Pop ludique avec des relents des années 60.

À ÉCOUTER : L'album Granville, paru en février 2013.

INFLUENCES : Les chansons de plage-surf à l'américaine et la pop française des années 60.

ARTISTES INSPIRANTS : Malajube, La Patère rose et les cinéastes Wes Anderson, Michel Gondry et Xavier Dolan.

Jeudi 20 juin, 21h, Scène Sirius XM; vendredi 21 juin, 21h, Métropolis en première partie de Louis-Jean Cormier

Photo: fournie par Warner

Le groupe Granville