Le festival Pop Montréal s'est terminé hier après cinq jours de spectacles qui auront su ravir les mélomanes. Nos journalistes dévoilent leurs coups de coeur.

Impérial Pierre Kwenders

On l'a encore observé à sa rentrée sur scène mercredi, Pierre Kwenders est devenu le frontman qu'il n'était pas au départ. Autorité sur scène, facture aventureuse, approche néanmoins pop, très bon groupe avec section de vents pour l'occasion, beau choix d'invités spéciaux (Kae Sun, etc.), magnifiques projections inspirées de l'Afrique pop des années 60 et 70. Enfin bref, le Montréalais d'origine congolaise évolue comme doit le faire un artiste d'envergure internationale. Tout ce qu'il a accompli depuis ses débuts témoigne d'un goût excellent, d'une curiosité et d'un raffinement exemplaires et aussi d'un désir sincère de construire un auditoire important qui lui fera déborder le cadre local. Mercredi dernier, le public venu au Centre Phi a vibré pour la relecture de son répertoire antérieur ou récent - l'excellent Makanda, coécrit avec Baba Maraire de Shabazz Places. - Alain Brunet

Immersif Love ThemeAutrefois sous l'alias Dirty Beaches, Alex Zhang Hungtai s'est présenté mercredi au sein du trio Love Theme avec Austin Milne et Simon Frank, Canadiens et citoyens en transhumance - Taipei, Londres, Beijing, etc. Deux saxophones et trois dispositifs électroniques sur scène, filtrage en direct des instruments à anche, de voix et de sons électroacoustiques ont généré un continuum horizontal très fort en volume. Au croisement du free jazz et de l'électro, cette approche n'est pas exactement du drone ou du bruitisme parce que des instruments «normaux» et des rythmes sont impliqués, et donc une connaissance «traditionnelle» est nécessaire, mais le caractère linéaire de l'affaire et la puissance du son nous plongent dans un environnement immersif qui peut sembler violent a priori, mais auquel on a tôt fait de s'habituer si on résiste aux premières minutes de l'épreuve. Immersif? Euphémisme! - Alain Brunet

Festive Juana MolinaEx-superstar de l'humour en Argentine, Juana Molina mène sa deuxième existence depuis un quart de siècle. On s'excitait déjà le pompon au cours de la décennie précédente, lorsqu'elle s'était produite seule en première partie de David Byrne et était revenue quelques années plus tard à la Sala Rossa. Elle était alors plus proche du folk électronique, son langage aurait pu ensuite s'épuiser, nous aurions pu passer à un autre sujet et... Juana Molina a toujours trouvé le moyen de faire durer le plaisir. En travaillant avec un groupe (claviers, guitares, percussions), elle a pu insuffler un esprit plus rock à ses propositions cyber folk. Jeudi soir à la Fédération ukrainienne, sa voix était même transformée par ces rythmes puisés dans l'avant-rock et le prog, ces riffs anguleux à la guitare et plus encore. La facture fut à la fois redoutable et festive, à tel point qu'une vaste part de son public a dansé du début à la fin! - Alain Brunet

Méditation avec William Basinski et Joni VoidTrès prisé par les fans d'ambient et de post-minimalisme, l'Américain William Basinski révèle également une dégaine rock lorsqu'il se présente sur scène: verres fumés, veste à paillettes, coiffure glam, et ces références directes à feu David Bowie à qui il rend hommage dans son travail récent - écoutez la pièce intitulée For David Robert Jones. Jeudi soir, il venait diffuser la musique de l'album A Shadow in Time, paru cette année, soit le dernier de ses 24 albums studio. L'approche est foncièrement linéaire, enveloppante, assez musclée, quoique facile à absorber - drones assez délicats, somme toute. Cette méditation aurait toutefois été plus mémorable si on avait eu droit à une sonorisation de meilleure qualité, car cette musique requiert des conditions optimales pour en goûter les microvariations. Sur la même scène, le set précédent était une gracieuseté de Jean Cousin, alias Joni Void. Artiste français transplanté à Montréal, il témoigne d'un univers foisonnant, puise dans une grande diversité de références - électro, bruitisme, musique classique ou même chanson française, ajouts de reportages télévisés et autres éléments sonores captés dans le quotidien. Voilà une excellente raison de découvrir l'album Selfless, paru le printemps dernier chez Constellation. - Alain Brunet

Étonnant Un BlondeAprès avoir été profondément séduit par son album autoproduit Good Will Come to You, il fallait voir et entendre sur scène Jean-Sébastien Audet, alias Un Blonde, dont l'ascension est imminente sur la scène internationale. Assisté d'un quartette (basse, pedal steel, guitares, batterie), d'un quatuor à cordes et de trois choristes, le jeune Montréalais nous conviait vendredi à une expérience unique, déferlement unique de fragments compositionnels balancés en direct. Chaque pièce est très courte, commence et se termine abruptement et comporte pourtant une réelle profondeur orchestrale. Ces hachures étonnent et fascinent : soul, gospel, blues, folk, jazz et musique contemporaine sont les couleurs exploitées par ce créateur profondément singulier, multi-instrumentiste (au piano vendredi), très bon chanteur au demeurant, qui épate les professionnels les plus chevronnés. On raconte qu'un représentant de 4AD était sur place vendredi et qu'il était sur le cul. Trop tard, Un Blonde a déjà un contrat chez Anti. On n'a pas fini d'en entendre parler. - Alain Brunet

Lumineuse BeyriesNous sommes nombreux à avoir eu un coup de foudre pour le premier album de Beyries, qui ramène à la période classique du mouvement singer-songwriter. C'est donc dans un Club Soda bondé que la révélation montréalaise a fait escale vendredi. Celle qui a décidé de se consacrer à la musique après avoir survécu à un cancer était de toute évidence fière d'avoir rempli la salle de 900 places. Entourée des musiciens de sa tournée (le réalisateur émérite Alex McMahon, le guitariste Joseph Marchand, Guillaume Chartrain à la basse et la polyvalente chanteuse Judith Little, auxquels s'ajoutait le claviériste Gabriel Gratton), Amélie Beyries a défendu avec une force tranquille les chansons intimes aux paysages sonores aérés de son opus. De plus en plus détendue au fil du concert, la chanteuse a révélé un sens de l'humour redoutable... qui lui a joué des tours quand elle a annoncé, à la blague, Louis-Jean Cormier au milieu de J'aurai cent ans (qu'elle interprète avec lui sur l'album), suscitant les exclamations ravies, puis déçues, et enfin les rires de l'auditoire. N'empêche, on a pu voir Marie-Pierre Arthur se joindre à elle pour une reprise dépouillée de Landslide de Fleetwood Mac... Chaleur, authenticité, spontanéité: la soirée a été à l'image de cette femme qu'on ne peut qu'aimer. - Frédéric Murphy

Photo Jean-Philippe Sanfaçon, fournie par Pop Montréal

William Basinski, vendredi, Fédération ukrainienne.

Explosive Moor MotherLa plus puissante claque de samedi a été assénée par cette femme noire de Philadelphie, Camae Ayewa, alias Moor Mother. Longs dreads, vêtue de noir, elle était penchée devant son attirail électro pour nous brasser la cage. Vindicative, rebelle, voire très critique, visiblement éprouvée par l'existence, surtout brillante pour avoir imaginé cet arsenal d'explosifs qui vous éclatent en pleine gueule pendant cette heure passée à l'église au toit rouge. L'électronique hardcore et la poésie en direct de cette artiste visionnaire produisent un effet violent, absolument unique, sans équivalent. Le spectre de son expression implique aussi une vaste culture hip-hop, gospel, free jazz dont les fragments apparaissent dans le flux de cette prestation incendiaire, gorgée de contenu, on ne peut plus subversive. Wow! - Alain Brunet

Inspirante Lido PimientaD'origine colombienne, la Torontoise Lido Pimienta est une artiste multi-disciplinaire, de surcroît une redoutable bête de scène. Son patrimoine musical est l'un des plus riches du continent latino-américain, elle le sait et elle en puise des éléments probants pour les actualiser à souhait. Plus précisément, la portion électronique est importante dans sa proposition, mais les percussions afro-colombiennes et les chants incarnés lui confèrent une dimension organique et chaleureuse, produisant ainsi une mixtion à la fois riche et percutante. À l'évidence, Lido Pimienta est de ces artistes canadiens issus de l'immigration non occidentale qui tirent avantage de leur situation, soit en renouvelant les formes populaires qu'ils ont intégrées de leur patrimoine. Ils nourrissent ainsi une nouvelle culture urbaine qui nous enrichit, qui nous élève et qui nous transforme. - Alain Brunet

Laura Sauvage en contrôleOn l'a connue chez les Hay Babies, on l'a appréciée seule sur scène au cours des derniers mois et on en a mangé une bonne samedi alors qu'elle défendait sur scène la matière de l'album The Beautiful, en quartette s'il vous plaît: Dany Placard, basse, Jonathan Bigras, guitares, Nicolas Beaudoin, batterie. Elle-même très bonne guitariste, Laura Sauvage (Vivianne Roy de son vrai nom) n'invente rien a priori mais sa dégaine, la précision et la rudesse de ses chansons anglos dépassent à peu près tout ce qui a été enregistré côté rock ces dernières années en provenance d'Acadie. Cette jeune femme est en pleine maîtrise de son art, ses chansons regorgent de riffs puissants, au croisement de l'americana (folk, psych folk, country, etc,) et du hard rock. Permettons-nous de renchérir: Laura Sauvage n'a rien, absolument rien à envier à ses plus éminentes collègues. On pense entre autres à Sharon Van Etten et Angel Olsen. Oui madame! - Alain Brunet

Photo fournie par Pop Montréal

Moor Mother, samedi, église Saint John the Evangelist.