Le réalisateur Tony Visconti est associé à des albums comme Electric Warrior, Heroes, Band On the Run et The No Comprendo. À l'invitation de Pop Montréal, il vient nous raconter la petite histoire de disques qui ont marqué la grande histoire du rock.

À force de lire son nom à l'endos de pochettes d'albums de T. Rex, David Bowie, Wings et Morrissey, on pourrait croire que Tony Visconti est britannique. Pourtant, c'est à Brooklyn qu'a grandi ce touche-à-tout de 69 ans auquel David Bowie a confié la réalisation de son dernier album, The Next Day, 43 ans après leur première collaboration sur The Man Who Sold the World.

Repéré à New York par le réalisateur Denny Cordell, Visconti est débarqué à Londres en 1967 juste à temps pour écouter Sgt. Pepper's des Beatles quelques mois avant sa sortie. Quand le même Cordell lui a conseillé de trouver un groupe dont il pourrait réaliser les disques, Visconti s'est engouffré dans une boîte de Soho où il a découvert un duo qui jouait une espèce de folk-rock acoustique trempé dans la mythologie devant un public hypnotisé. Il allait réaliser plusieurs albums de cet étrange Tyrannosaurus Rex et l'accompagner dans sa métamorphose électrique qui allait donner T. Rex.

À la même époque, Visconti a fait la connaissance du jeune David Bowie dont il allait plus tard réaliser l'album The Man Who Sold the World. Le nom de Visconti allait être pour toujours étroitement lié aux albums de Bowie, de Diamond Dogs à The Next Day en passant par la fameuse trilogie berlinoise des années 70 dont on attribue trop souvent à tort la réalisation à Brian Eno.

C'est ce témoin privilégié de l'histoire du rock des 50 dernières années qu'on a convaincu de venir pour la toute première fois à Montréal partager ses souvenirs avec le public, samedi prochain à la SAT. Visconti est un orateur généreux et passionnant qui illustre ses anecdotes de photos et d'extraits de pièces musicales et répond aux questions de son auditoire, qu'il soit composé de spécialistes ou de fans.

«Pour moi, c'est la même chose. Plusieurs fans en savent davantage sur Bowie que j'en saurai jamais. Je n'étudie pas Bowie, je ne fais que travailler avec lui», lance-t-il en riant au téléphone.

De la vieille école

Tony Visconti se décrit comme un réalisateur de la vieille école qui peut tout faire: être l'ingénieur du son, écrire des arrangements, jouer d'un instrument, faire le mix...

«Je suis plus traditionnel parce que j'ai passé des années à jouer la musique des années 20, 30 et 40 dans des boîtes de nuit. J'ai commencé à 17 ans, j'étais toujours le plus jeune du groupe. J'avais déjà consacré 10 000 heures à la musique quand je suis devenu réalisateur de disques. Mais j'étais très naïf et mon apprentissage a duré deux bonnes années avant que je puisse vraiment faire un disque à moi.»

Malgré son bagage technique, Visconti se voit surtout comme un «coach, un parrain et un ami proche». Il n'est pas impressionné par la musique qu'il entend aujourd'hui et il croit que la technologie rend les gens paresseux.

«Trop souvent, tous les trucs intéressants sont dans le premier couplet et le premier refrain et il n'y a plus de surprise dans le reste de la chanson. Bowie et moi, quand nous avons enregistré The Next Day, nous avons fait les choses à l'ancienne. Si tu écoutes la fin d'une chanson, tu vas découvrir des choses que tu n'as pas entendues au début.»

Top secret

Quand Bowie a demandé à son vieux complice de travailler à The Next Day, son premier album en 10 ans, Visconti a tout de suite accepté, mais il a dû promettre de garder le secret. Seule sa copine le savait. «Je voulais mourir, dit-il en riant. Je me promenais en ville avec la musique de David Bowie et personne ne savait qu'il préparait un nouvel album.»

Avec le recul, il estime que son ami Bowie a adopté la stratégie parfaite. «Si on avait annoncé deux ans plus tôt que David Bowie faisait un nouvel album, les gens se seraient attendus à quelque chose d'extraordinairement bon et ça en aurait probablement déçu certains. Quand c'est sorti, des amis à moi sont tombés à genoux en pleurant, convaincus qu'ils étaient que David ne ferait plus jamais de disque ou même qu'il était mourant. Ils ont été agréablement surpris de constater qu'il avait encore ça en lui.»

Actuellement, Visconti prépare le nouvel album de la chanteuse américaine Kristeen Young auquel collabore Dave Grohl. Mais il s'attend à ce que Bowie publie un autre album, probablement l'an prochain. «Il y a des chansons écrites pour The Next Day qu'on n'a jamais terminées. Je peux dire que David est très heureux et qu'il veut faire d'autre musique.»

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Conversation avec Tony Visconti à la SAT, le 28 septembre à 19h.

Sur T. Rex

«Marc Bolan a toujours voulu être une rock star mais, faute d'argent, il a fait des disques rock and roll avec une guitare acoustique. Tyrannosaurus Rex, c'était du blues de 12 mesures, comme la musique de Chuck Berry et d'Eddy Cochran. Marc est retourné dans les années 50 et y a ajouté un son bien à lui. C'était un génie dans ce genre de chose.»

Sur Bowie

«Quand je l'ai connu, David écrivait de très bonnes chansons, mais chacune était d'un style, d'un genre différent. Et comme je n'avais pas beaucoup d'expérience, je ne savais pas comment l'aider à trouver une certaine cohésion. Aujourd'hui, David peut faire un album avec plein de styles différents. C'est ce que les gens attendent de lui.»

Sur Les Rita Mitsouko

«C'était un couple à la pensée très radicale sur les plans politique et artistique. Ils faisaient les choses différemment de tout le monde avec qui j'ai travaillé. On a connu un départ cahoteux - on se disputait souvent. On a finalement fait quatre albums ensemble, dont je suis très fier. Mes amis qui ne parlaient pas français ne voulaient pas écouter The No Comprendo, mais sur le plan musical, c'est l'un des meilleurs disques auxquels j'ai travaillé.»

Les choix de Visconti

Trois albums dont il est le plus fier

THE MAN WHO SOLD THE WORLD, DAVID BOWIE

Pour la première fois, nous savions ce que nous faisions. Mick Ronson nous a montré comment jouer du rock heavy et cet album compte certaines des meilleures compositions de David: The Man Who Sold The World, She Shook Me Cold, After All...

THE SLIDER, T. REX

On avait la frousse: il fallait faire quelque chose d'aussi bon qu'Electric Warrior et la chanson Get It On. J'ai joué des claviers, du mellotron, j'ai fait les arrangements de cordes... J'étais un membre à part entière de T. Rex.

BAD REPUTATION, THIN LIZZY

Après The Boys Are Back In Town, Thin Lizzy voulait explorer un nouveau territoire et travailler avec le réalisateur de David Bowie. Moi, je voulais goûter à la vie d'un groupe rock. J'y ai côtoyé deux grands guitaristes, Gary Moore et Brian Robertson.

Trois albums qu'il aurait aimé réaliser

HUNKY DORY, DAVID BOWIE

J'aurais adoré réaliser Hunky Dory mais on s'est brouillés. J'aime ce côté plus doux de David, c'est le genre de chansons que j'attendais de lui. Les arrangements de cordes de Mick Ronson sont tellement beaux.

REVOLVER, THE BEATLES

Revolver m'a fait prendre conscience de ce que je pouvais faire. Je savais écrire des arrangements de cordes classiques et tirer des sons étranges des amplis de guitares. J'aurais pu être le cinquième Beatle et j'aurais fait un super travail! (rire)

IN THE RIGHT PLACE, Dr. JOHN

Je rêve encore de travailler avec Dr. John. J'ai grandi en écoutant Fats Domino, Little Richard et du R'N'B enregistré de La Nouvelle- Orléans. En studio avec Dr. John et son groupe, surtout le batteur, j'aurais été au paradis.

Trois réalisateurs qu'il admire

GEORGE MARTIN

George Martin est mon idole. C'est l'un des plus grands réalisateurs de disques toutes époques confondues. Je l'admire, je le respecte et je trouve que tout ce qu'il a fait est merveilleux.

CHRIS THOMAS

Il a fait ses classes avec George Martin et il était l'un des premiers à savoir comment fonctionnait un Moog. Puis, il a réalisé les disques des Pretenders et d'autres grands.

C'est un bon ami des artistes avec qui il travaille. Ça s'entend.

JOE BOYD

Un gars très sous-estimé qui a travaillé avec les plus grands musiciens folk et world. Ce n'est pas un ingénieur mais c'est un homme de coeur qui a le don de dénicher la belle musique où qu'elle soit dans le monde.