St.Vincent, alias Annie Clark, prend de longues pauses au téléphone avant de formuler des réponses précises, réfléchies, pertinentes. L'interview coïncide avec la sortie de l'album Love This Giant, la tournée qui s'ensuit et l'escale imminente à Pop Montréal vendredi. Il y est essentiellement question de cette collaboration de la jeune musicienne, auteure, compositrice et interprète avec le monumental David Byrne, qui se passe de présentation.

L'homme est archi-connu sur la planète entière, alors que la femme ne l'est que sur la planète indie. L'ex-Talking Heads est le gros nom et St.Vincent le petit. Toutefois, ils ont créé ensemble une douzaine de chansons, dans le respect mutuel et un esprit on ne peut plus égalitaire.

«L'équilibre entre nous est très important dans ce projet, estime St.Vincent. Sauf exception, chacun a proposé des idées sur lesquelles nous avons travaillé ensemble. Les échanges furent très enrichissants et dynamiques, ce fut un match très musical, en quelque sorte.

«Dans un projet de la sorte, insiste-t-elle, tu ne peux seulement collaborer avec un autre artiste. Tu dois lui faire confiance et accepter que le résultat sera tout autre que ce qui sortirait exclusivement de toi-même. Il faut se sentir bien et enthousiaste dans ce contexte. Et je crois qu'il s'agit de la plus grande réussite de cet album.»

David Byrne a 60 ans, Annie Clark en aura 30 la semaine prochaine... 90 ans d'expérience! Cela dit, aucun des deux ne voit dans Love This Giant un projet intergénérationnel, du genre Jack White réanime le personnage agonisant de Wanda Jackson. L'album n'est pas un hommage de St.Vincent à la brillante carrière de son aîné.

«David n'est pas collé sur une époque, assure notre interviewée. Malgré nos âges respectifs, nous sommes tous deux des artistes qui regardent devant. Nous avons en commun ce désir de faire la synthèse de musiques un peu complexes pour proposer des créations accessibles, voire vulnérables. À ce titre, je crois que David est un grand maître. Nous croyons tous deux qu'il y a maintes façons de réinventer la forme chanson sans qu'elle ne perde de son intelligibilité.»

Éviter les pièges

Le contenu du tout récent album Love This Giant, soit la matière principale au menu de la soirée prévue à l'église Saint-Jean Baptiste, a été construit avec une cohorte d'instruments à vent autour desquels on a ajouté claviers, guitares et programmations électroniques.

«Lorsque nous avons décidé d'écrire des chansons ensemble, explique St.Vincent, j'ai tout de suite réalisé qu'il fallait s'assurer que ce soit autre chose qu'un album de David Byrne. Ainsi, l'usage d'instruments à vent nous permettrait d'éviter ce piège. Ce choix provient aussi d'une contrainte: nous devions d'abord donner un concert-bénéfice dans un endroit qui ne disposait pas d'un système de son adéquat. Nous sommes progressivement passés d'un ensemble de cinq instruments à vent pour finalement en réunir beaucoup plus en studio.»

«Une récompense»

Que dire de la facture des arrangements? «Nous n'avons pas fait d'étude de marché ou de genres afin de savoir les façons dont les musiciens utilisaient les cuivres aujourd'hui. Nous avons écouté notre intuition, je l'ai fait personnellement à la manière d'une outsider. Avec cette idée en tête: la musique qu'on aime doit être justement incluse dans sa propre création.»

En marche depuis le week-end dernier, la tournée de St.Vincent et David Byrne est encore jeune, mais semble avoir été rigoureusement préparée.

«Nous avons répété pendant trois semaines avant de prendre la route, dit-elle. Éclairages, chorégraphie, mouvement, théâtralité... un vrai spectacle!»

Malgré les différences d'âges et de réputations, la musicienne ne pense pas que faire équipe avec son illustre aîné représente un risque.

«Pour moi, c'est plutôt une récompense.»

David Byrne et St.Vincent à 20h, église St-Jean Baptiste.