Sa sortie aura été semblable à son entrée en littérature : brutale. Le titre, l'écriture, l'image, l'impact, les réactions, tout cela ressemblait bel et bien à une commotion en 2001 quand est paru Putain, premier roman d'une oeuvre qui ne comptera finalement que cinq titres, dont un posthume.

Difficile de faire plus spectaculaire pour un premier roman. Publication au Seuil, une presse enthousiaste, en lice pour les prix Médicis et Femina, traduit dans une dizaine de langues.

Et dès le départ, l'ambiguïté s'est installée. Nelly Arcan avait 27 ou 28 ans, mais la biographie indiquait qu'elle était née en 1975. Or, Isabelle Fortier, de son vrai nom, est née en 1973. N'a-t-elle pas écrit dans son terrible «conte cruel pour jeunes filles», L'enfant dans le miroir, paru en 2007 chez Marchand de feuilles : «Quand j'ai eu quinze ans, j'ai voulu en avoir 10, pour moi 10 ans était l'âge de la perfection de la peau et de la jeunesse non entamée, pour moi c'était l'âge d'avant la crevaison de la puberté.» La faille était déjà là, la catastrophe avait déjà eu lieu. D'ailleurs, sur ce que l'on serait tenté de décrire comme la chronique d'une mort annoncée, puisque la question du suicide traverse toute son oeuvre, nombreux sont ceux qui croient plutôt que c'est l'écriture qui a retardé le rendez-vous funeste, fixé en toutes lettres à 30 ans dans Folle (Seuil, 2004). «Je pense que l'écriture lui a permis de se développer beaucoup, soutient Pascal Assathiany, directeur des éditions du Boréal et de Diffusion Dimédia, qui distribue les romans de Nelly Arcan au Québec. Elle ne pouvait pas vieillir. Sans l'écriture, peut-être que quelque chose comme ça serait arrivé avant.»

Même son de cloche chez le critique Robert Lévesque, avec qui elle partageait les pages du défunt hebdo Ici. «Toute explication sur le suicide de quelqu'un est, comme l'écrivait Pascal Quignard, une offense à la personne qui a choisi de se retirer du monde... Je note simplement que Nelly Arcan a quitté la partie à l'âge qu'avait Marilyn Monroe, 36 ans, la vie engagée mais pas faite, et que c'est dans son oeuvre qu'elle aura elle-même écrit ce qu'elle avait à écrire sur le mal de vivre, entre haine intérieure, beauté extérieure, regards et vide. Un mal de vivre qui était sans doute plus celui d'Isabelle Fortier de Lac-Mégantic qui vivait cachée dans l'ombre violée de Nelly Arcan. La littérature, son combat, inégal face au bruit du monde, lui aura un temps sauvé la vie.»

Les problèmes de l'autofiction

On n'allait pas seulement se questionner sur ses origines nébuleuses. Combien d'interventions de chirurgie esthétique? Avait-elle été vraiment putain? Avait-elle seulement écrit ce roman, n'était-ce pas plutôt son prof? «Elle ne voulait pas mélanger les deux, sa vie personnelle et son oeuvre, mais ça s'est mélangé tout de suite», se souvient Pascal Assathiany.

À elle seule, Nelly Arcan allait lancer un long débat sur les grandeurs et misères de l'autofiction, qui allait culminer avec Folle, le récit détaillé d'une rupture, qui avait beaucoup fait jaser dans les soirées et lui avait valu la réplique de son ex, le journaliste Nicolas Ritoux, encore une fois mis malgré lui sous les projecteurs par sa mort - il s'est prononcé publiquement sur son suicide sur son blogue, www.vulusu.ca. D'où certainement ce désir d'aller plus clairement vers la fiction dans À ciel ouvert, son troisième roman, empreint des mêmes obsessions du corps, de la beauté, de la perfection. «Pour moi, les deux genres, l'autofiction et la fiction, ça s'équivaut sur le plan littéraire, mais je suis trop sensible pour m'exposer encore de cette façon-là, nous confiait-elle en entrevue. Je trouve que d'écrire sans le "je", c'est moins cher payé en exposition de soi-même.»

Mais écrire, c'était quand même s'exposer. «Elle n'avait pas de protection par rapport aux critiques, a dit son grand ami Patrick Cady. Quand l'une d'entre elles était mauvaise, même si 10 autres étaient excellentes, il n'y avait plus que la mauvaise qui existait.»

Nelly Arcan était devenue dans la foulée chroniqueuse, mais ses thèmes de prédilection restaient les mêmes. Elle a fait ses classes dans le défunt cahier LP2 de La Presse, à l'invitation de Marie-Christine Blais. «Nelly était super contente qu'on lui ait fait cette demande, se souvient-elle. Car elle n'était pas si en demande que ça. Elle était d'un grand professionnalisme, respectueuse, méticuleuse, ouverte à tous les commentaires. Ça l'angoissait totalement, mais elle était d'une grande humilité.» Cela allait mener à sa populaire chronique dans Ici et sa participation à Ici et là au Canal Vox.

Son prochain roman, Paradis clé en main, venait tout juste d'être terminé et allait paraître en novembre dans la collection Coups de tête des 400 coups. Son sujet? Le suicide. Encore une fois, la réalité et la fiction main dans la main... «On a travaillé très proche, chapitre par chapitre, raconte son éditeur Michel Vézina, encore sous le choc de sa mort. C'est un grand écrivain et même si je n'ai pas aimé tous ses livres de manière égale, j'admire l'intégrité de son travail. Il y a une vraie oeuvre, et malgré le succès, on savait qu'on n'était pas en face d'un feu de paille. Elle avait vraiment l'écriture à coeur, c'était au centre de sa vie, un besoin.

«On pense que la meilleure chose à faire, par respect pour Nelly, est de ne rien changer à la date de publication, mais je veux absolument l'accord de la famille.»