Par son ampleur, sa nature et sa puissance musicale, le festival de Woodstock fait depuis longtemps partie des grands mythes américains sinon occidentaux. Quarante ans plus tard, retour dans les acres vaporeux de Bethel, entre l'histoire et la mémoire.

Woodstock... Au lendemain même du festival - des filles toutes nues, des millions de joints, Janis Joplin et Jimi Hendrix -, le nom confinait au mythe, mythe que quatre décennies n'ont fait qu'amplifier. Par cette merveilleuse capacité de l'homme qui s'appelle la mémoire sélective.

Woodstock... Chacun y voit son sens. Ceux qui y étaient vraiment, ceux qui n'y étaient pas, ceux qui, au fil des ans, se sont convaincus et ont convaincu les autres qu'ils y étaient. Il y a aussi, bien sûr, ceux qui n'en sont jamais revenus.

Grand-messe de la paix et de l'amour pour les uns, Woodstock représente pour d'autres le plus grand rassemblement musical jamais organisé. Et pour bien d'autres encore, ça reste le plus formidable pot party de l'histoire de l'humanité. Ou la fin de l'innocence. Ou le début d'un temps nouveau, comme le chantera ici Renée Claude.

«Pour moi, Woodstock était un test pour voir si notre génération croyait vraiment en elle et à ce monde qu'elle voulait construire», écrit dans The Road to Woodstock Michael Lang, un des quatre partenaires de l'aventure. Le plus vieux d'entre eux, John Roberts, avait 26 ans. C'était le money man, un riche héritier dont le père a fini par payer la facture de 2,4 millions (1) de ce désastre logistique et financier. Devant l'absence de guichets et de personnel de sécurité à l'entrée, les jeunes sans billet avaient vite sauté la clôture et l'annonce, peu après, que c'était devenu un concert gratuit amena plus tard plusieurs milliers de détenteurs de billets (18 $ pour les trois jours) à exiger un remboursement.

Les autres partenaires étaient Joel Rosenman, un ami de Roberts, et Artie Kornfeld, alors vice-président de Capitol Records et compositeur de succès originaire de Queens (New York) comme Lang, «l'homme derrière le festival mythique» (du sous-titre de son livre) que les autres ont toujours accusé de se mettre devant. Il reste que Lang était le seul à savoir (un peu) ce qu'il faisait ayant organisé en 1968 le Miami Pop Festival qui avait attiré 40 000 personnes.

Aux dirigeants, réticents, du Sullivan County, les producteurs avaient évoqué la présence possible de 50 000 spectateurs tout en en espérant le triple, une approche à laquelle ils avaient donné le nom de «duperie créative»... Après le festival, le recoupement des évaluations dépassera les 400 000, chiffre que l'histoire a arrondi à 500 000, plus facile à retenir: «By the time I got to Woodstock, we were half a million strong...» Far out, man!

Quarante ans plus tard, les organisateurs ne s'entendent toujours pas sur qui avait eu l'idée d'organiser ces «trois jours de paix et de musique», mais on a tout de même certaines certitudes. Le festival a eu lieu du vendredi 14 au lundi 17 août 1969 sur la ferme de Max Yasgur, le plus grand producteur laitier de Bethel, patelin de 3000 habitants au nord de New York. Non! Woodstock n'a pas eu lieu à Woodstock, situé dans les Catskills à 60 milles de là, lieu de résidence de Bob Dylan, un des premiers artistes que Lang a tenté d'embaucher. Les producteurs avaient baptisé leur compagnie du nom de ce lieu - Woodstock Ventures - mais Dylan n'a jamais chanté à... Woodstock. Où il y a eu trois morts dont on a peu parlé : deux reliées à la drogue et cet autre jeune homme qui, enroulé dans son sac de couchage dans la boue - le site était une mer de boue - a été écrasé par un tracteur qui ramassait les ordures.

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David Clayton Thomas a chanté à Woodstock, lui, avec Blood, Sweat and Tears, un groupe de jazz-rock qui, cette année-là, dominait les palmarès avec des tubes comme You Made Me So Very Happy, Spinning Wheel et le classique de Billie Holiday God Bless the Child, devenu l'hymne des groupes de protestation contre la guerre au Vietnam.

M. Clayton Thomas - il était au Festival de jazz en 2006 - n'aime pas beaucoup parler de Woodstock, à cause de ce dicton qu'il cite d'emblée: «Si vous vous souvenez de Woodstock, c'est que vous n'y étiez pas» ... Mais il y était et s'en souvient... un peu.

«Il y avait de la drogue partout - marijuana, hasch, LSD», nous a dit l'ancien tough kid du nord de l'Ontario quand nous l'avons joint récemment à sa résidence de Toronto. « Comme toutes les routes étaient bloquées, nous sommes arrivés par hélicoptère ce samedi-là (c'était le dimanche, en fait), directement derrière la scène.

«Pluie, drogue et chaos: c'était la confusion totale. Personne ne semblait savoir vraiment ce qui se passait.» Sauf l'imprésario de BS & T qui, devant le caractère gratuit de du festival, craignait de ne pas recevoir les 15 000 $ promis, somme énorme pour l'époque (Woodstock a coûté 182 000 $ en cachets, le plus gros (32 000 $) allant à Jimi Hendrix qui l'avait exigé comme il avait exigé de passer en dernier). Comme le film allait devenir pour les producteurs la seule source de revenus, Blood, Sweat & Tears, qui avait cédé ses droits, refusa de jouer devant les caméras. C'est pourquoi le groupe de Greenwich Village ne figure pas dans le film de Michael Wadleigh (3). Premier corollaire de Woodstock: si vous n'êtes pas dans le film, vous n'étiez (peut-être) pas là...

«Nous avions donné un bon spectacle devant cette foule énorme: il y avait plus de 650 000 personnes. Pour moi, toutefois, Woodstock restera toujours davantage un événement politique que musical. Sur la scène, c'était les mêmes gars qui jouaient leur même musique; dans la foule, par contre, on sentait cette frustration provoquée par la fusillade de Kent State, quelques semaines avant. Cet événement tragique a galvanisé les énergies et c'est pourquoi tout ce monde s'est rendu à Woodstock pour en faire une grande manifestation politique.»

Le fait que la tragédie de Kent State - la Garde nationale de l'Ohio a ouvert le feu sur des étudiants qui protestaient contre l'invasion américaine du Cambodge: quatre morts - n'ait eu lieu qu'en mai 1970 ne change rien à l'affaire : Woodstock a célébré la paix et en demeure encore le symbole aujourd'hui.

You dig it, man?

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SOURCES :


(1) How Woodstock Happened, série d'articles par Elliot Tiber et le Times Herald-Record, 1994; consultée sur le site woodstock69.com le 11 mai 2009. Tiber est le personnage principal du film d'Ang Lee (Taking Woodstock) qui sort la semaine prochaine.

(2) Woodstock - 3 Days of peace and Music - The Director's Cut, Warner Brothers, 1994, 30 $.