Ce n'était pas censé se passer comme ça. En novembre 2008, lorsqu'est paru l'album Douze hommes rapaillés, les espoirs devaient êtres grands, mais les attentes, elles, étaient forcément modestes. Simple logique: on ne fait pas souvent courir les foules avec des poèmes mis en musique, fussent-ils tirés de l'oeuvre de Gaston Miron et interprétés par certains des plus grands artisans de la chanson québécoise.

Or, deux ans et demi plus tard, c'est devenu un phénomène. Le concert de clôture des FrancoFolies, samedi, l'a encore démontré. D'une part, le Théâtre Maisonneuve était de nouveau rempli à capacité. D'autre part, le spectacle était enregistré pour la télévision et sera diffusé à Radio-Canada le 28 août.

Pour l'occasion, tous les chanteurs qu'on entend sur disque, sauf Plume, étaient du spectacle : Richard Séguin (impeccable dans Compagnon des Amériques), le trop rare Pierre Flynn, Daniel Lavoie (poignant), Michel Rivard, Yann Perreau, Martin Léon, Vincent Vallières, Jim Corcoran, Yves Lambert, Michel Faubert, Gilles Bélanger et Louis-Jean Cormier. Ils étaient accompagnés de François Lafontaine (piano et claviers), Mario Légaré (basse et contrebasse), Guido del Fabro (violon) et Marc-André Larocque (batterie) et Hugo Perreault (guitare et pedal steel).

Par où commencer? Par les mots de Miron, qui résonnent toujours avec force dans nos coeurs et nos consciences? Par le doigté du compositeur, Gilles Bélanger, qui a su faire des chansons souvent accrocheuses à partir de textes si denses? Optons plutôt pour le troisième pilier de cette aventure: Louis-Jean Cormier.

La figure de proue de Karkwa s'avère en effet l'arme secrète de ce spectacle. Directeur musical attentif, superbe guitariste, chanteur souple et engageant, il est partout dans ces chansons. Avec sa six cordes bien sûr, mais aussi avec sa fort belle voix, qu'il glisse avec le même naturel derrière celle de Yann Perreau ou de Michel Rivard. Il enlumine tout le monde avec la même générosité et s'impose, sensible et entier, quand son tour vient de prendre le plancher.

C'est aussi à Louis-Jean Cormier qu'on doit la principale innovation de cette deuxième mouture du spectacle Douze hommes rapaillés. Entre deux segments plus rock, il a eu l'idée d'intercaler un intermède acoustique inspiré du bluegrass qu'il a lancé en solo en interprétant la très belle Au long de tes hanches. Peu à peu, au gré des chansons (Nature humaine, Je t'écris pour te dire que je t'aime, Désemparé) , tous les autres se sont rassemblés autour d'un seul micro. 

Photo fournie par les Francofolies

Yann Perreau

L'un avec sa guitare, l'autre avec un instrument de percussion, chacun avec sa voix.

Ce très beau moment, chaudement applaudi, illustre parfaitement ce qu'est devenu le projet Douze hommes rapaillés : une force vive de la chanson québécoise où chacun affiche son individualité tout en se fondant dans un ensemble désormais tissé serré de liens fraternels. Ces 12 hommes - 17, si on ajoute les cinq musiciens -, incarnent à merveille l'essence de la poésie de Miron: une quête profondément personnelle et intime, mue par une conscience aiguë du devenir collectif et un désir de s'inscrire dans la marche universelle de l'humanité.

Ce projet, on le pressent, marquera la chanson québécoise. Ce n'est toutefois pas parce que ce spectacle s'inscrira dans l'histoire qu'il faut le voir, mais parce qu'il prend aux tripes (même avec une sonorisation parfois mal calibrée). Devant tant de beauté, d'harmonie et de vers lourds de sens, devant un artisanat chansonnier aussi sincère, on s'incline et on dit finalement la seule chose qui convient en pareilles circonstances: merci.  

Le spectacle Douze hommes rapaillés, mis en scène par Marc Béland, sera présenté le 11 juillet dans la cadre du Festival international d'été de Québec.

Photo fournie par les Francofolies

Jim Corcoran