Ce n'est pas très compliqué de comprendre quand les temps deviennent troubles. Les vents forts, nous les sentons surtout dans les discours, de plus en plus raides. Des fois, ça glace le sang, en plus de faire friser les oreilles. D'un côté, on crie au goulag, de l'autre, au fascisme, on dit que le totalitarisme pointe à l'horizon, ou alors l'anarchie. Bref, on doit comprendre qu'il faut avoir peur.

Les temps de crise ont cette qualité de nous obliger à revenir aux dictionnaires et aux manuels d'histoire. Depuis quelques jours, sont appelés en renfort, dans l'imaginaire, Néron jouant du violon pendant que Rome brûle, Marie-Antoinette proposant de la brioche au peuple, la crise d'Octobre, la Gestapo, la Résistance, la menace communiste et le retour du mot «camarades» pour désigner ses compagnons militants. On ne pensait pas la réentendre, celle-là. Comme on ne pensait pas non plus subir un cours de sémantique sur le mot violence, dans un concours de tordage de bras qui ressemble plus au jeu du «dis pardon à mononcle»...

Ce qu'il y a d'amusant est ce recours aux clichés de l'Histoire, sans essayer de comprendre comment ils ont été transformés en clichés dont nous sommes si friands lorsque les esprits s'échauffent. Mais vouloir faire l'Histoire, n'est-ce pas cela l'ultime cliché? Ce qu'il y a d'encore plus amusant dans un univers médiatique qui a le mot «historique» facile, c'est sa soudaine retenue justement quand quelque chose de vraiment historique semble arriver. C'est quand la dernière fois qu'on a vu, dans les rues de Montréal, autant de protestataires?

Les temps troubles amènent une suspension de la vie quotidienne, jusque dans l'intime où nous retenons notre souffle. Même dans quelque chose d'aussi personnel que la lecture. Tout à coup, la poésie doit être engagée, et les livres doivent servir à soutenir une cause ou un propos. Si, hier, lire «inutile» était contre-productif, on dirait que soudainement, ça devient «bourgeois». Difficile de se concentrer sur un roman, disons. Chacun est préoccupé par la situation, peu importe ses convictions. Mais la philosophie et la littérature, absentes à la télé, sont de retour de façon inattendue, et cette fois dans les bulletins de nouvelles. Ce n'est pas rien.

Ces jours-ci, on se fait balancer par la tête, parfois n'importe comment, Le capital de Marx, Le Prince de Machiavel, L'art de la guerre de Sun Tzu, L'homme révolté de Camus, Sartre sur Mai 68, La stratégie du choc de Naomi Klein, Chomsky, Platon, Thoreau, tous rarement lus dans le texte, mais souvent pigés dans des sites de citations, qui sont relayées sur les réseaux sociaux.

Tout de même, il est fascinant de voir cette réactualisation des grands textes de l'histoire, comme l'ancien combattant dépoussière une arme qui dormait depuis longtemps. Encore faut-il rapprendre à l'utiliser efficacement - la pensée aussi peut rouiller.

Quoi lire en temps de crise? En premier, les bédés de Lauzier. Parce que si nous n'arrivons plus à rire, nous sommes foutus et bons pour l'endoctrinement, de part et d'autre. Lauzier est un maître pour guérir n'importe quelle fièvre. Mais surtout, c'est le moment de relire - parce que lire, c'est relire - afin d'éviter de déformer les classiques, et surtout, de les réduire à des clichés. Enfin, il ne faut jamais perdre de vue l'importance de lire «inutile», de conserver une part de beauté et de joie malgré la tourmente et l'atmosphère sinistre. De garder le goût des histoires, plus près de la vraie vie que celle écrite avec un grand H.

Ce billet fait relâche jusqu'en septembre. Bon printemps, bon été, bonnes lectures - et si vous faites le mal, faites-le bien.