Qui se souvient de ses premiers romans d'amour? De ce temps où nous les lisions sans vraiment savoir ce qu'était l'amour? Beaucoup de fillettes, d'adolescentes et de jeunes femmes ont passé des heures dans les romans d'amour, peu importe leurs qualités.

Malgré les peines, les déceptions et la fin de la passion, beaucoup de célibataires, de femmes mariées et de veuves continuent de lire des romans d'amour. Ils contiennent tous un idéal, une sorte d'éternité, un sens de la vie. L'amour semble une quête, un héroïsme, une épopée, ce qui n'est pas très différent de tous ces romans de guerre et d'aventures qui excitent les garçons, même quand ils sont devenus vieux et inaptes au combat. Dans les deux cas, ce qu'on cherche, c'est une forme de transcendance, ce quelque chose qui illumine tout le reste et qui explique tous les sacrifices. C'est à se demander si les romans de gare sont nés pour faire patienter ces femmes qui restaient sur le quai en voyant partir les hommes au front...

Nous avons tendance à mépriser les romans d'amour et à respecter les romans de guerre, en oubliant que dans les deux genres, nous puisons des modèles éternels. Ce sont peut-être les romans les plus insignifiants en apparence qui justement nous modèlent le plus, peut-être parce qu'ils sont les premiers et qu'ils creusent en nous des sillons que nous suivrons aveuglément, d'après ces premiers émois que nous voulons sans cesse retrouver. Qui sait à quelle fiction nous répondons quand nous tombons amoureux, qui sait si nous ne sommes pas autant séduits par une construction que par une personne...

Est-ce cela que nous voulons déconstruire? C'est étonnant le nombre de romans sur le sujet qui paraissent ces derniers temps, et nous ne parlons que du Québec. Les collectifs Cherchez la femme ou Amour et libertinage, Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps de Claudia Larochelle, Les cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage de Martine Delvaux, L'amour n'est rien de Nadia Gosselin, Amour et autres violences de Marie-Sissi Labrèche qui va paraître bientôt...

Rien à voir avec la Saint-Valentin qui s'en vient, ce ne sont pas des livres qui font rêver, mais qui démontent le rêve de l'amour. Ce n'est pas une mode, c'est une obsession. Comme si beaucoup de femmes tentaient de se guérir d'une illusion profondément incrustée dans leur identité. Mais si on a lu L'Amour et l'Occident de Denis de Rougemont, nous devrions savoir à quel point amour et souffrance sont liés dans la littérature occidentale: «L'amour heureux n'a pas d'histoire. Il n'est de roman que de l'amour mortel, c'est-à-dire de l'amour menacé et condamné par la vie même. Ce qui exalte le lyrisme occidental, ce n'est pas le plaisir des sens, ni la paix féconde du couple. C'est moins l'amour comblé que la passion d'amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental.»

Il est curieux, tout de même, que libérés des contraintes de la religion et du mariage qui ont fait les beaux jours des romans d'amour - l'amour impossible et l'adultère étant les principaux moteurs du genre pendant des siècles - nous continuions de souffrir autant. Peut-être parce que l'amour demeure la plus grande zone de guerre, plus longue que celle de Cent ans, plus mondiale que la Première et la Seconde réunies, et qu'elle fait tomber bien plus de corps dans ses champs. Et dans cette guerre, on dirait bien que ce sont les soldates qui sont les mieux entraînées et qu'elles ne sont pas loin de constituer une armée redoutable.

Aimer Olivieri

La dernière fois qu'on y est allé, c'était lors d'une soirée consacrée à la littérature haïtienne. Les travaux majeurs sur le chemin de la Côte-des-Neiges semblaient rendre hommage au séisme de janvier 2010, il fallait presque ramper pour rejoindre la porte d'entrée. La librairie Olivieri, l'une des plus belles à Montréal, a souffert de ces 18 mois de travaux et perdu des clients, découragés par tant d'obstacles. C'est maintenant terminé et c'est le moment d'y retourner pour aider cette institution. Leur café est formidable, et le choix de livres, imbattable. C'est au 5219, chemin de la Côte-des-Neiges.

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