Comme bien des lecteurs, je suis la plupart du temps déçue par les adaptations de mes romans préférés au cinéma, et encore plus par les films biographiques sur mes écrivains favoris. Et pourtant, je ne peux pas y résister: je me tape tout film qui aborde la littérature, de près ou de loin, du pire au meilleur.

L'été dernier, j'ai regardé de bout en bout, et en bouillonnant, un téléfilm insupportable sur Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. C'est plus fort que moi, j'aime voir comment on interprète et perpétue les légendes par le prisme du 7e art, qui a beaucoup d'emprise sur notre imaginaire. Pour les écrivains, c'est généralement tout ce qui ne concerne pas leurs oeuvres qui, le plus souvent, les cerne au cinéma. Quant à leurs oeuvres, lorsqu'elles sont transposées (mis à part le théâtre), c'est bien souvent uniquement leur squelette qu'on verra, c'est-à-dire l'histoire, sans le style qui donne chair à la littérature.

Cette semaine, par contre, heureuse rencontre en voyant Howl, de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, à propos du procès pour obscénité qui a entouré la publication du célèbre poème d'Allen Ginsberg. En salle depuis hier, ce film vaut vraiment le coup d'oeil. Ou de tendre l'oreille, car c'est bien la première fois que j'entends le texte complet d'un poète être récité dans un film de fiction. Faut-il s'étonner d'ailleurs que ce soit la poésie qui permette au texte d'être la vedette d'un film? Avant tout, la poésie est quelque chose qui s'entend et la dimension incantatoire du poème de Ginsberg en est un parfait exemple. «I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked, dragging themselves through the negro streets at dawn looking for an angry fix...»

Howl, ce long poème halluciné, vous l'entendrez en entier dans le film, illustré par des animations qui pourront déplaire à ceux qui n'ont pas envie qu'on interprète pour eux les mots. Et il est vrai que la poésie est quelque chose de très personnel, qui fait naître en vous des images de vous seul connues.

Le poème (comme le film) est entrecoupé d'un collage d'interviews avec Ginsberg (brillamment interprété par James Franco), et d'extraits du procès contre son éditeur. Il est plutôt surréaliste de voir défiler à la barre critiques et professeurs à qui l'on demande s'il s'agit d'un poème de qualité, si l'auteur aurait pu employer des mots plus appropriés, et même si l'oeuvre deviendra un classique!

Ce qui ressort de cet exercice cinématographique est justement le ridicule d'une telle entreprise qu'est «l'explication» d'un poème. C'est plutôt là que sont l'indécence et l'obscénité. À la limite, même les confidences de Ginsberg n'y parviennent pas. On comprend le contexte de sa création, mais on ne peut déterminer précisément en quoi consiste la puissance du poème. Pourquoi déconstruire un poème, qui est déjà une déconstruction du langage et de la réalité? C'est de là que la poésie puise sa force d'évocation. Cette intense litanie exaltée qu'est Howl doit être entendue et ressentie avant même de tenter de la comprendre. Car, comme l'écrivait Cioran, «s'appesantir, s'expliquer, démontrer - autant de formes de vulgarité».

Vous l'aurez deviné, je ne suis pas une adepte de la critique en poésie. L'idée de commettre des critiques de poèmes me répugne, et je suis même incapable de les lire - j'ai toujours envie de dire «tasse-toi de mon poème, tu me bloques la vue». Même si cela peut paraître exagéré, il y a sûrement pour moi un aspect sacré à la poésie.

«Holy! Holy! Holy!» comme disait Ginsberg!