J'imagine plus facilement l'écrivaine Catherine Mavrikakis en drop-out qu'en universitaire et cela, depuis son premier roman, Deuils cannibales et mélancoliques jusqu'au Ciel de Bay City. Sa haine viscérale de l'obéissance cadre très mal avec l'idée qu'on se fait de la hiérarchie dans les grandes tours du savoir. Mais dans une société aussi anti-intellectuelle que le Québec, la carrière universitaire est peut-être une rébellion... Encore plus si vous enseignez dans le secteur des sciences humaines, à l'intérieur desquelles la littérature n'est pas très loin en estime des cours de gouache à la maternelle.

Ce malaise dans les sciences humaines est très bien expliqué dans L'éternité en accéléré de Catherine Mavrikakis, un «e-carnet» de 52 textes courts et percutants préalablement publiés sur le web, et qui trouve maintenant son format papier chez Héliotrope. «Les sciences humaines ont honte de ce qu'elles ont été, de ce qui les a fondées, c'est-à-dire qu'elles refusent toute humanité en elles. La vie ne fait plus partie de ce qui est à enseigner et dans ce dispositif ennuyeux que constitue la simple passation des connaissances s'effectuant sans partage de l'expérience, les disciplines s'épuisent et le savoir devient caduc.»

Quand je suis entrée à l'université en littérature, la tête remplie de rêves absurdes - j'allais lire tous les livres importants de tous les temps et de tous les pays en trois ans - j'imaginais un peu cela comme la rencontre avec le professeur Keating dans La société des poètes disparus. Une vision quétaine du savoir? Oui, bien sûr, mais il y a toujours du vrai dans le quétaine, une impulsion sincère.

Je me souviens d'un prof maigrichon brandissant la photo de Camus en déclarant: voici mon drame, j'aurais voulu être aussi beau que lui! Il y avait du tragicomique dans cet aveu. Un autre prof, alors qu'il allait prendre sa retraite, nous a fait un long discours sur l'inutilité du diplôme comme objectif quand on a la soif d'apprendre et de découvrir le monde - nous étions tous au bord des larmes, d'autant plus que personne ne ratait son cours tellement il était passionnant.

En fait, comme plusieurs, j'ai passé mon bac avec un haut taux d'absentéisme, car il y avait beaucoup trop de profs dont on pouvait facilement se passer en suivant tout simplement la bibliographie du cours. Si tout est dans les livres, alors quel est le rôle du professeur? La transmission du savoir par l'expérience, en effet. Nous avions tous besoin de croire qu'on ne s'était pas trompés en pensant que la littérature nous aide à vivre, et pas forcément pour des raisons alimentaires.

«C'est précisément ce lien entre l'universel et le personnel qui se fait de plus en plus mal dans nos systèmes d'éducation. D'un côté le savoir, au nom de la vérité, refuse toute réalité de l'expérience individuelle. De l'autre, la culture populaire se crispe trop souvent sur la vie, tout en n'étant pas toujours capable de sortir du particulier», écrit Mavrikakis.

Dans L'éternité en accéléré, Catherine Mavrikakis est un véritable livre ouvert, cela donne une petite idée de ce qu'elle doit être comme prof. Elle avoue sans problème être une enfant de la télé, qui a grandi dans la peur de la bombe atomique et le culte des Kennedy, le rêve du voyage sur la Lune et l'adoration d'Alice Cooper, le mépris de Michael Jackson qui s'est finalement transformé en tendresse, comme elle a appris à aimer les centres commerciaux, les motels un peu laids, Facebook et la téléréalité. Elle ne met pas de côté ce qui l'a malgré tout conduite vers les hautes sphères littéraires. «Il m'est impossible d'oublier les joies que j'ai connues dans la kitschification du monde. Je suis pourtant critique d'un certain mode de vie qui ne conduit guère à l'intelligence et à la réflexion, mais je sais aussi que l'habit ne fait pas tout à fait le moine et que le motel ne fait pas la salope, pas plus que le B&B ne fait des subversifs ou encore des contestataires de l'empire mondialisant.»

L'éternité en accéléré, c'est un peu une défense de la naïveté, cette quête d'absolu même dans les choses les plus anodines. Catherine Mavrikakis pourrait faire sienne la chanson d'Alain Souchon, puisqu'elle accepte de faire partie de ces «foules sentimentales», au fond.