En attendant la biographie de Marie-André Lamontagne sur l'un des écrivains les plus mystérieux de notre littérature, Anne Hébert, je me jette sur tout ce qui se publie la concernant. Par exemple sur En route et pas de sentiment, le «récit» de Michel Gosselin (chez Hurtubise), qui a fondé le Centre d'études Anne-Hébert à l'Université de Sherbrooke.

Michel Gosselin fait partie de ces admirateurs transis d'amour, encore émerveillés d'avoir côtoyé de près l'objet de leur dévotion. Il s'agit presque d'une relation mère-fils, qui lui fait négliger sa propre mère. Son livre est riche en dialogues, tirés de conversations immortalisées dans ses carnets intimes, au moment où il aidait Anne Hébert à quitter Paris pour revenir au Québec en 1998. On doit donc croire Michel Gosselin sur parole, si on peut dire, dans ces dialogues romancés.

«En route et pas de sentiment» est la phrase qu'Anne Hébert use un peu par bravade au moment de ce déménagement douloureux pour elle, voire mortel. Cette phrase n'est certes pas celle de Gosselin, qui tourne en rond plutôt que de se mettre en route, et qui encombre son récit d'un tas de sentiments personnels, le tout dans un style parfois emphatique.

Il se dégage tout de même de ce récit un portrait intéressant d'Anne Hébert, entre autres parce que Michel Gosselin est un véritable maniaque de son oeuvre, qu'il connaît à la virgule près - il a lu toutes les versions manuscrites de tous ses livres et l'interroge sur la moindre modification apportée. Mais il en faut des pages pour parvenir à quelques révélations, elle qui avait une sainte horreur des curieux qui fouillent dans la vie des écrivains pour comprendre leurs livres. Cela donne une petite idée du supplice de Michel Gosselin qui devait la persuader de la pertinence de chaque document personnel qu'il voulait recueillir pour son centre et cela, sans la brusquer. Alors les confidences, il doit les attendre patiemment - nous aussi.

Les révélations sont dans les colères de la si douce et timide Anne Hébert. Quiconque a lu son oeuvre sait pourtant combien la violence gronde, tel un torrent, derrière cette écriture classique et peaufinée à l'extrême. Une relation amour-haine envers son pays d'origine pour cette fière Canadienne française qui ne se fera jamais aux élans nationalistes. Ce Québec qui a tué son cousin qu'elle chérissait tant, Saint-Denys Garneau, retrouvé dans la rivière Jacques-Cartier.

«On lui a en quelque sorte confirmé son propre jugement destructeur», confie-t-elle à Michel Gosselin à propos des critiques de Regards et jeux dans l'espace. Elle soutient qu'elle fut en «colère contre la vie» en apprenant sa mort par la bouche de sa mère, qui avait «pris le soin de préciser que ses vêtements étaient secs, comme pour enlever toute allusion à un suicide». Ce Québec de la Grande Noirceur et des soutanes, dans lequel la mort ne saurait être volontaire. En la rencontrant à Paris pour la première fois, Mavis Gallant lui trouvait l'air malade. «J'ai compris l'origine de sa maladie quand elle a reçu une lettre de son père qui la félicitait d'avoir loué une maison dont les propriétaires étaient de bons chrétiens. Anne avait tout de même 39 ans à cette époque-là...»

La colère originelle, elle, on la découvre à la fin. Mais tout s'imbrique dans cette déclaration: «Si je suis devenue écrivain, c'est pour répondre à la plus pressante exigence de la parole, et de la vie recréée par la parole. Cela vient de très loin en moi, d'une enfance particulière, du fond d'un certain pays... Et si je parle en français, c'est pour nommer une réalité qui vient d'ailleurs, hors de France. Cette réalité sauvage de mon pays si longtemps enfouie dans la nuit du silence. Quoi que je dise et écrive, je n'échapperai jamais à la profonde ressemblance du coeur avec sa terre originelle. Ni vous ni moi. Voilà!»

Tout est dans ses livres, c'est donc vrai.

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