«Dans l'après-midi, Chevalier s'essaya de nouveau à écrire. Toujours rien. Et c'était comme s'ils avaient gagné.»

Chevalier Branlequeue, éditeur, poète, prof de littérature, auteur d'un seul recueil célèbre - Les Élucubrations - mentor sur le tard des Octobierristes (parce que la bière y est importante), groupe d'étudiants obsédés par les secrets de la crise d'Octobre, découvre la page blanche en prison, là ou on l'a jeté par la force de la Loi des mesures de guerre.

Ce personnage, un amalgame de ces écrivains, artistes et intellectuels qui ont vécu les événements, traverse tout le roman de Louis Hamelin, La constellation du Lynx. De même que Samuel Nihilo, alter ego de Hamelin, défini comme «tâcheron de la plume», étudiant de Chevalier dont il reprend le flambeau pour trouver la vérité, au risque d'y perdre sa santé mentale.

Les écrivains sont atrocement seuls dans le roman de Louis Hamelin. Les artistes en général sont seuls, comme la copine de Samuel, Marie-Québec, qui veut présenter la pièce Les Justes de Camus dans un coin du Québec où on s'en fout - et ça vient d'arriver à Wajdi Mouawad à Ottawa! Comme les jeunes felquistes qui veulent changer le monde. Quand la prise d'otage tourne mal, que le ministre Paul Lavoie perd son sang, Richard Godefroid tente d'écrire un ultime communiqué. «Mais il regarde le clavier et rien ne sort. Blocage total. Et c'est comme s'ils avaient gagné.» Dire que tout cela a dérapé avec une machine à écrire, en plus, utilisée comme boulet par l'otage pour fracasser une fenêtre...

Écrire, voilà l'issue. Et se faire entendre, bien sûr. Quand même l'envie de prendre la parole est étranglée, «ils» ont gagné. Mais qui sont «ils»?

Pour Hamelin, «conspirationniste sceptique» - son personnage Nihilo préfère Nietzsche à Descartes-, ce sont tous ces scénaristes dans l'ombre qui écrivent véritablement l'Histoire sans la signer, faisant des acteurs d'Octobre... des acteurs, justement, dirigés par un metteur en scène protéiforme. «Bring the meat», disait Hitchcock avant de tourner. «On est dans l'invention et la fabrication, l'intrigue et l'histoire. Des gens très créatifs, là aussi, lancent leurs petites fictions dans le monde. La différence, c'est que quand ça fonctionne, on n'appelle pas ça un best-seller. On appelle ça l'Histoire. (...) À une certaine profondeur, ce qu'on trouve, ce n'est plus des gens qui se tirent dessus, plutôt une guerre des textes.» Louis Hamelin débarque avec ses armes: un pavé de près de 600 pages, dans lequel on sent l'amour du pays et de ses rêveurs, de sa langue, un besoin de vérité, une vision élargie d'une époque bouillonnante sur plusieurs continents, un regard plus cynique sur notre époque que sur notre passé. Et, bien sûr, des affirmations qui font sursauter - mais c'est le but.

La puissance du roman de Hamelin est dans son actualisation des événements, au moment où le 40e anniversaire de cette crise nous ramène les mêmes promesses de vérités nouvelles. La constellation du Lynx ne parle pas seulement d'octobre 70, mais aussi d'octobre 2010, alors que nous sommes en pleine commission Bastarache et que le Bonhomme Carnaval fait la une du Maclean's. C'est par le romanesque que Hamelin nous rappelle cette constante impossibilité de se dire. L'image la plus lancinante du roman est ce fantôme ensanglanté de Paul Lavoie, coincé dans le purgatoire de nos mensonges, de nos mythes et de notre oubli.

Qui a tué Pierre Laporte-Paul Lavoie n'est pas la seule question: qu'est-ce ce qui a fait naître la violence? De part et d'autre? Qu'est-ce qui voulait se dire et qu'est-ce qu'on voulait taire, voire étouffer?

Le confort et l'indifférence d'aujourd'hui sont partenaires de la répression d'hier, semble nous dire l'écrivain.

Mais tant que des Chevalier Branlequeue, Samuel Nihilo et Louis Hamelin, écrivent, «ils» n'auront pas gagné...