Jerry Lewis, qui fut le roi de l'humour en son temps, a déjà affirmé: «Je n'aime aucune femme comique.»

Il avait au moins le mérite d'être franc.

Chaque année, on ne sait plus trop par quel angle original aborder cette lassante question: pourquoi si peu de femmes réussissent-elle à percer en humour? À atteindre le statut d'un Louis-José Houde ou d'un Martin Matte?

Moi-même, je n'en peux plus de poser cette question aux filles humoristes quand vient le temps de pondre l'énième dossier sur le sujet. C'est particulièrement flagrant cette année à Juste pour rire, malgré toutes les diplômées qui sortent de l'École nationale de l'humour: on ne compte même pas sur les doigts d'une seule main les filles qui participeront aux galas Juste pour rire, les soirées les plus glamour du festival qui ont permis à Rachid Badouri ou à André Sauvé de se faire découvrir par le grand public. Deux mille ans d'oppression patriarcale ne peuvent pas tout expliquer, quand même. Il n'y a rien aujourd'hui qui empêche une fille de faire carrière en humour. Alors, qu'est-ce qui l'empêche de réussir?

Je me demande si ce n'est pas précisément cette question et cette attente qui lui nuisent. À la longue, on finit par ressentir une certaine nervosité chaque fois qu'une fille monte sur scène pour nous faire rigoler. On n'y croit pas ou on espère trop. Sur scène, comme dans le sport, il n'y a pas de place pour la pitié ni pour les quotas. On ne retient que le résultat. De toute façon, qui veut gagner par défaut?

Les filles humoristes me racontent souvent ce paradoxe. Minoritaires dans le milieu, elles ont l'avantage de se démarquer d'avance, de susciter la curiosité (ou la répulsion selon les préjugés); or, cet avantage est plutôt castrant et ne permet pas l'erreur. Si la fille humoriste se montre moyenne - comme c'est le cas pour la plupart des débutants - elle confirme l'idée que les filles en général sont moins bonnes. Si un jeune humoriste se montre moyen, il est noyé dans la masse des médiocres qui vont peut-être s'améliorer; il ne porte pas la destinée des hommes humoristes sur ses épaules. Quand il se plante, on ne dit pas «maudit que les gars sont moins bons que les filles.» Quand elle se plante, on ne se gêne pas pour le dire, puisque étant encore une exception, elle confirme la règle.

Le rire, c'est sexuel

En 2007, le journaliste Christopher Hitchens lançait le débat dans le magazine Vanity Fair: «Pourquoi les femmes ne sont pas drôles». Selon lui, la capacité à faire rire est la dernière arme du gars moche ou poche en sport. Puisque selon l'adage, «femme qui rit est à moitié dans ton lit». S'il n'a pas au moins l'humour, il est foutu dans la loi de la sélection naturelle. Car les filles adorent rire. Cela ne veut pas dire pour autant qu'on leur demande d'être drôles. Qu'elle soit drôle n'est pas du tout au top des qualités recherchées par un homme chez une femme, selon Hitchens.

Bref, le gars utilise l'humour pour faire oublier ses défauts. Une fille qui utilise l'humour provoque souvent le contraire. Si elle est belle, elle brise le fragile masque de beauté qui ne survit pas à la farce et la grimace; si elle est moche, bien souvent, elle mise sur ses défauts pour faire rire, ce qui les met en évidence.

Il ne faut donc pas s'étonner que les gars aient toujours une longueur d'avance sur les filles en humour. Dès la cour d'école, ils doivent performer, épater la galerie, développer l'art d'imiter les profs ou les bruits les plus comiques. Ce talent est chez eux encouragé en bas âge, tandis qu'il n'est pas particulièrement sollicité chez les filles, qui doivent plus tard passer par une déconstruction de leur image pour devenir humoriste. Car pour faire rire, il faut accepter de se ridiculiser, de s'enlaidir, de se «laisser aller», ce qui est loin de faire partie de l'éducation féminine.

Les femmes utilisent-elles l'humour pour séduire? Pas forcément pour elles-mêmes. Une fille vraiment déterminée à séduire un gars rira de toutes ses blagues, bonnes ou non, mais ce faisant, les projecteurs ne sont pas braqués sur elle. Sa position dans la danse du rut est celle de la spectatrice, voire du juge. L'inverse est plutôt rare. Une fille qui redouble d'efforts pour faire rire un homme, est-ce que ça marche? Pas sûr. J'ai déjà essayé, et tout ce que ça m'a donné, c'est une claque dans le dos, une «bine» sur l'épaule, et cette inévitable réplique: «T'es comme un gars!». C'est qu'en voulant être plus drôle que le mec, on lui vole sa job, en quelque sorte.

Si les filles sont moins drôles que les gars, c'est peut-être tout simplement parce qu'elles sont trop occupées à rire de leurs blagues plutôt qu'à en faire. À moins que le sens de l'humour des gars ne soit pas assez développé pour leur permettre de rire des blagues du sexe opposé...