Michel Chartrand, qui est parti cette semaine rejoindre sa Simonne, n'a jamais voulu écrire ses mémoires. On le comprend. Pourquoi écrire des livres quand on écrit l'Histoire? Il est des êtres qui n'ont pas besoin de tenir la plume, parce que leurs actions dictent la mémoire collective. Leur existence est leur oeuvre. Des trajectoires lumineuses à suivre, parce qu'elles suivent elles-mêmes une lumière. Ce sont eux qui inspirent les poètes. L'écrivain Victor-Lévy Beaulieu a envoyé cette semaine son hommage, dans lequel il écrit: «Ce petit mot pour vous dire tout simplement que si je peux encore espérer devenir quelqu'un dans la vie, c'est à vous que je le dois. Peu d'hommes québécois m'ont marqué comme vous l'avez fait. (...) Vous êtes un formidable exemple, le seul à m'être aussi essentiel.»

Je me souviens avoir accroché à Chartrand, quand j'étais très jeune, parce qu'il parlait de ses lectures en prison. Il a tout de suite représenté pour moi l'idée de la vie pleine, celle qui ne peut être restreinte par les quatre murs d'une cellule. Encore moins par cette plus vaste prison qu'est la bêtise ambiante. Il lisait Prévert entre quelques conseils syndicaux aux gardiens - assez pour que le directeur lui montre la porte un peu plus tôt, paraît-il!De savoir Chartrand sensible à la poésie ne m'a pas étonnée. Il faut du coeur pour la lire. Cela teintait la passion de ses discours. Sa description colorée des objets qui nous entourent, fabriqués en usine par les mains des ouvriers, c'était un poème, qui a d'ailleurs été repris par d'autres. La discipline intellectuelle pour lui n'allait pas sans une discipline manuelle. L'esprit devait être en mouvement.

On ne peut parler au peuple, aux politiciens, aux juges et aux médias d'une seule voix sans avoir un souci de la forme. J'admire beaucoup ces hommes qui ont fait leurs classes d'orateur à une époque où la voix primait sur l'image. Ils étaient forcés de dire quelque chose de signifiant, les mots étant alors plus importants que la cravate.

Dans le documentaire Un homme de parole, Michel Chartrand explique que pour lui, les Psaumes, et le Cantique des Cantiques, c'est aussi de la grande poésie. Ses «ostie», «criss» et «tabarnak» - de la bouche d'un ancien moine cistercien resté croyant -, c'était tout autant de la poésie, une ponctuation efficace visant à soutenir l'attention entre deux tirades bien envoyées, et plus souvent un point d'exclamation vigoureux et galvanisant adressé au peuple qu'il sortait de sa torpeur. Donner du courage aux gens, cela exige d'aller les rencontrer, de les regarder dans les yeux, de souffrir à leurs côtés, cela n'a rien à voir avec un clip d'une minute au Téléjournal. Il faut être LÀ. La poésie impose la même exigence.

Dans les dernières images de l'homme tournées par Manuel Foglia, j'ai remarqué ce plan sur sa bibliothèque. Les poètes et romanciers semblaient beaucoup plus nombreux que les idéologues.

Un amour de la beauté animait cet homme, convaincu que nous aspirons tous au bonheur qu'on ne peut trouver et vivre seul, et qui s'est éteint sans grands avoirs, mais riche d'une vie utile, entouré de ses livres, de ses enfants et de ses petits-enfants. «Ceux qui ne se posent pas de question sont aussi caves que ceux qui se posent des questions de travers», a-t-il confié au documentariste.

Les politiciens qui nous parlent aujourd'hui n'ont pas seulement une absence d'idées, ils n'ont pas même le souci d'un semblant de forme pour enrober cette absence. C'est évident que ces gens-là ne lisent pas de poésie. Dans leurs yeux, le vide, l'avidité ou la panique, mais aucune flamme. Donc, rien qui nous allume. Et il était particulièrement ironique de voir la mort de Michel Chartrand se disputer l'espace médiatique aux scandales qui éclaboussent depuis des mois le gouvernement. On nous a même demandé qui de Charest ou Bellemare nous croyons.

S'il s'agit de «croire», eh bien, je préfère croire Chartrand.

À la recherche du meilleur passeur de livres!

Vendredi prochain, 23 avril, ce sera la 15e Journée mondiale du livre. Cette année, on veut mettre l'accent sur les «diffuseurs», ceux qui font le lien entre vous et le livre: libraires, professeurs, bibliothécaires... Pour souligner l'événement, nous avons eu l'idée d'interroger l'un de ces «passeurs», mais attention, pas n'importe lequel: le vôtre. Dites-nous en quoi votre prof, libraire ou bibliothécaire est le ou la meilleure, et nous irons le ou la rencontrer sur la base du témoignage le plus convaincant. Ce qui lui vaudra une entrevue et une photo dans ce journal vendredi prochain.