Peu importe les soubresauts de l'actualité ou de la température - interne ou externe - rien ne m'effraie vraiment tant qu'il y a de bons livres à portée de main. Or, je ne sais si j'ai joué de malchance dans mes choix, mais il m'a été plus difficile qu'à l'habitude de trouver les perles rares pour passer au travers de cet automne morose, fait de grippe et de corruption, de crise économique et d'un goût de lendemain de cuite au premier anniversaire de la présidence d'Obama.

Peut-être parce que j'avais lu en août, à l'avance, L'énigme de retour de Dany Laferrière, qui m'avait laissée sur une si forte impression qu'elle a haussé mes espérances? Les siennes, en tout cas, ont été comblées par une suite ininterrompue d'éloges et de prix...

Le suicide de Nelly Arcan, aussi, m'a beaucoup bouleversée, de même que son dernier roman, Paradis clef en main (Coups de tête). Cela a contaminé ma lecture du prix Robert-Cliche, Les murs d'Olivia Tapiero (VLB Éditeur), que j'ai lu juste après. Incapable de commenter avec recul ce premier roman d'une jeune fille de 19 ans, en qui j'ai vu une espèce de dauphine d'Arcan, une relève dans le malheur. Une plume efficace, c'est certain, surtout à cet âge, mais qui plongeait dans la même encre noire; l'anorexie, l'envie de mort, la haine de soi. Et rien d'autre, martelé impitoyablement sur 150 pages. Pour la première fois, cela m'a inquiété: est-ce la noirceur que l'on récompense ou la littérature? Le sujet plus que le style? Pourquoi le suicide de Nelly la ramène-t-il sur la liste des best-sellers? Qu'est-ce que cela lance comme message aux aspirants du Robert-Cliche? Je vous laisse le soin d'en juger; je n'ai pas pu, mais je me sentais en dette envers ce roman.

Plus que les écrivains parfois, rien de mieux que des lecteurs pour nous redonner du courage. C'est ce que j'ai trouvé dans La littérature est inutile (Boréal) de Gilles Marcotte (juste le titre me fait encore rire), et Un coeur intelligent d'Alain Finkielkraut (Stock/Flammarion). Quand la fiction m'épuise, j'ai besoin de ces lecteurs pour me rappeler à quel point certains livres peuvent traverser et transformer nos vies.

J'ai pu retomber dans les artifices délicieux de l'écriture. Je pense à Maleficium de Martine Desjardins (Alto), charmant roman gothique dont la préciosité pourrait faire croire à un anachronisme, alors que le fond ne l'est pas du tout. À L'oeil de Marquise de Monique LaRue (Boréal), qui, en opposant deux frères, propose un regard très intéressant sur notre schizophrénie identitaire. À 33, chemin de la Baleine de Myriam Beaudoin (Leméac), qui déconstruit et réinvente à sa façon le roman d'amour, d'étonnante et de poignante façon. À Ru de Kim Thuy (Libre Expression), qu'on ne peut résumer au simple témoignage d'une enfant des «boat people»; après l'avoir lu, on délaisse l'idée de la vie comme un long fleuve tranquille pour y préférer le ruisseau. Et, bien sûr, La canicule des pauvres, de Jean-Simon DesRochers, (Les Herbes Rouges), que j'ai traité de «génie au travail» vendredi dernier, ce qui en a énervé plusieurs. J'attends la deuxième vague d'indignation quand vous aurez lu son roman, pas mal plus osé que mon titre ironique.

Je m'en vais rattraper mes retards de lecture sur une plage du Sud. Il me reste certainement d'autres perles à trouver et privilégiés sont les écrivains qui profitent de mes repos. Finissez donc cet étrange automne en beauté; faites-lui un pied de nez et lisez. On se reparle en janvier.