Le saviez-vous? Dans deux semaines, le 600e numéro d'Archie sera en kiosque et on le présente comme le «numéro du siècle». Oui, Archie se marie! Et il a choisi Veronica, le salaud!

Ça fait plus de 60 ans que le triangle amoureux entre Archie, Betty et Veronica, créé par Bob Montana, dure sans jamais se conclure. Soixante ans qu'on se demande ce qu'elles peuvent bien trouver à ce rouquin maladroit qui conduit une bagnole des années 30. Soixante ans qu'il fait pleurer Betty, qu'on finit par trouver un peu conne de pourchasser ce crétin qui préfère se faire piétiner par la richissime fille de M. Lodge. Et ça se terminerait comme ça, sur le mariage d'Archie avec Veronica? Ben voyons donc!

Je n'y crois pas deux secondes - et la série de six numéros annoncée sur le sujet me confirme dans l'idée que ça va foirer, ce mariage, parce qu'on ne tue pas un statu quo qui fait fortune. Mais, qui sait, les choses ont peut-être changé depuis que Brad Pitt a quitté la gentille Jennifer Aniston (blonde) pour la méchante Angelina Jolie (brune). Bref, afin d'éviter le tout ou rien, mieux vaut être rousse, comme Cherryl Blossom. Et Archie, bien entendu.

Chaque fois que je lis des entrevues avec des écrivains et qu'on leur pose la fameuse question: «Quelle a été votre première lecture?» je suis toujours déçue. Tout le monde ment ou presque et cite de granzécrivains et de grands romans. Ils ont lu Hugo, Balzac et Baudelaire à 8 ans, disent-ils...

Et c'est bien parce que l'on garde un souvenir impérissable de nos premières lectures qu'on sait qu'ils mentent. On commence tous modestement, ne serait-ce que parce que nous apprenons à lire en même temps qu'on ouvre notre premier livre.

Pour ma part, après avoir épluché les titres de Dinomir le géant dans la petite bibliothèque de mon école en première année, je suis tombée - mais alors là tombée grave - dans les comic books Archie. J'ai ensuite passé une bonne décennie à Riverdale, chez Pop Tate, avec Archie, Betty, Veronica, Jughead, Reggie, Moose, Midge, Ethel, Dilton, le directeur Weatherbee et Miss Grundy. Sans jamais trouver étrange qu'ils ne vieillissent pas, ni m'étonner de l'échangisme amoureux (et platonique) dans les intrigues, ni m'indigner du sexisme soft ou du capitalisme hard en filigrane, sans jamais, même, me poser la question de l'homosexualité de Jughead.

Archie demeure un pur concentré rose bonbon des années 50, qu'on mâche comme un chewing-gum sans trop y penser. L'antithèse des Peanuts de Schultz, dont les personnages, bien qu'enfants, sont pas mal plus intelligents (et névrosés) que les ados attardés de Riverdale.

Et plus j'approchais de l'adolescence, donc de l'âge des personnages, plus ma lecture des bédés Archie devenait surréaliste; pendant qu'on me parlait du danger des drogues, du sida, de la grossesse et des gangs, Archie et ses amis demeuraient désespérément propres, vierges et sobres - sauf peut-être Jughead, qui affichait toutes les caractéristiques d'un junkie quand il voyait un burger.

Qu'importe, je n'arrivais pas à me débarrasser de mes Archie, plus d'une centaine amassés un par un avec mon argent de poche, et cela même si j'avais commencé à lire Sartre et Camus. Et puis, un jour, dans un grand geste symbolique de rupture avec mon enfance, j'ai donné toute ma collection à un petit voisin dont j'ai rapidement perdu la trace et oublié le nom. Je vous jure, je le regrette encore. Je ne pense pas qu'Archie, et surtout ses créateurs, feront la même stupide erreur de vouloir grandir...