Il faut toujours faire confiance aux gens qui lisent Sade. À tous ceux qui se réclament du rugissement sadien, du fin fond de son cachot, pour la jouissance de vivre. Ultime combat de l'existence, que de lutter contre tout ce qui concourt à écraser cet élan vital. C'était notamment le combat de Nietzsche...

Ainsi ai-je découvert Chantal Thomas - spécialiste de Sade, de Casanova et du XVIIIe siècle en général. De même pour cette nouvelle venue, Cécile Guilbert, toute de noir vêtue. «Cela fait 30 ans que je me vêts comme j'écris», précise-t-elle dans son recueil d'essais, Sans entraves et sans temps morts (Gallimard). Le livre s'ouvre et se termine sur cette citation de Histoire de Juliette: «Le passé m'encourage, le présent m'électrise, je crains peu l'avenir.»

En connaissez-vous beaucoup des gens qui pensent comme ça, surtout ces jours-ci? Guilbert est plus du côté du soleil (et de Sollers) que de l'ombre, bien qu'aimant le noir - luxe suprême de l'indémodable, auquel elle consacre tout un chapitre. Cette réflexion sur la mode, ce cancer voué perpétuellement à faire périr, est en quelque sorte l'introduction à sa pensée, qui donne en même temps des pistes pour s'affranchir de cette maladie du siècle.

Prix Médicis Essais en 2008 pour Warhol Spirit, spécialiste de Guy Debord (La société du spectacle), Cécile Guilbert, 36 ans, toutes ses dents et tout en style, est parfaitement de son temps; elle s'offre aussi le recul de ceux qui ne font pas du temps leur ennemi, mais leur allié. Ces essais (une cinquantaine, publiés dans divers journaux et magazines) se lisent comme un manuel de survie pour faire du présent une fête et non une cérémonie mortuaire. Curieuse de tout, elle plonge dans notre époque armée d'une foule de classiques de la littérature, puisqu'on «ne lit les classiques qu'au présent». Elle s'intéresse autant à Chamfort qu'au rock'n'roll, au Grand Siècle qu'aux grands romans américains contemporains, reprend intégralement les mots d'Artaud pour décrire Loft Story, assume un point de vue parfaitement élitiste sur la littérature tout en s'émerveillant du glamour disco...

Bref, on est ici en face d'un esprit riche et foisonnant, capable d'affronter une multitude de sujets qu'on a l'habitude de ne voir abordés qu'en surface et sans imagination. Surtout, Guilbert prouve par l'exemple, et avec grande intelligence, que ce que l'on nomme la «culture» est peut-être la seule arme efficace permettant de ne pas subir l'air du temps, mais de le respirer, aussi nauséabond soit-il. Comme une épée tranchante et pointue qui frappe directement au coeur de ces ennemis que sont la morosité, la platitude ou l'imbécillité. Traînez Cécile Guilbert à la plage cet été, c'est un conseil d'amie.