Mort de Soljenitsyne, de Césaire, Nobel à Le Clézio, Goncourt à l'Afghan Atiq Rahimi, le Gilles-Corbeil à Jacques Poulin... Beaucoup de grands moments en 2008 dans le monde littéraire, mais j'en retiens un, tout personnel: mon voyage de deux jours à Trois-Pistoles pour le lancement de La Grande Tribu, de Victor-Lévy Beaulieu.

Je ne sais trop pourquoi j'ai fait, à la dernière minute, cet aller-retour avec le photographe François Roy. L'instinct, sans doute. On s'en souvient, VLB avait, dans un geste d'éclat, brûlé symboliquement son roman et menacé de mettre le feu à toute son oeuvre pour protester contre l'affaiblissement du rêve indépendantiste au PQ. Pour les exégètes, j'ai envie de raconter cette anecdote: il n'a pas brûlé un, mais deux exemplaires, parce que les médias présents, n'ayant pas vu venir le coup, n'ont pas eu le temps de l'immortaliser correctement. Notamment parce que, toujours les pieds dans les plats, j'étais aussi directement dans l'angle des caméras lorsqu'il s'est levé pour balancer son bouquin dans les flammes (François m'a fait une copie de cette séquence mémorable). Deux briques de près de 1000 pages dans un poêle à bois; il faisait chaud à Trois-Pistoles ce jour-là, malgré l'hiver cuisant. Personne ne se doutait alors que, des mois plus tard, nous allions vivre une orgie d'élections, au Canada, aux États-Unis et au Québec - avec VLB comme candidat «indépendant indépendantiste». Le roman, lui, complètement fou, semblait, avec le recul, annoncer l'automne dément que nous allions connaître au plan politique.

 

Je me souviens surtout de cette discussion dans son bureau, où il m'a raconté son rêve de jeunesse d'obtenir un jour le prix Nobel de littérature. Et de sa réponse lorsque je lui ai demandé s'il y croyait encore: «Les prix Nobel sont accordés à des pays qui ne laissent pas le reste du monde indifférent.»

C'est à Le Clézio, et à la France, qu'est allé le Nobel cette année. Pour l'occasion, Horace Engdahl, secrétaire perpétuel de l'académie suédoise, s'est fendu d'un commentaire méprisant sur la littérature américaine, trop fermée sur elle-même selon lui. Ce pays qui compte déjà des Nobel indiscutables (Hemingway, Faulkner, Morrison, etc.), qui vient d'élire Barack Obama, le «président-écrivain», et qui nous a offert l'un des grands romans de la décennie: La route, de Cormac McCarthy. J'ai très mal dormi après avoir lu ce texte d'une noirceur absolue. Je me demande aussi si la postérité de ce roman ne sera pas écourtée parce que trop associée à l'époque Bush...

J'ai été ramenée à un peu d'espoir par la marche d'Obama vers la présidence en lisant les mémoires de Maya Angelou, traduites par une maison d'édition québécoise qui a vraiment du pif, les Allusifs. Cette protégée de James Baldwin nous plonge au coeur même du combat des Noirs aux États-Unis, sans se ménager et sans nous ménager, avec humour, intelligence et sensibilité. J'ai beaucoup envié ma collègue Nathalie Petrowski d'avoir rencontré cette femme d'exception à New York. Si j'ai un regret en 2008, c'est de ne pas avoir rencontré plus d'écrivains en personne...

D'autres femmes d'exception: Annie Ernaux, qui nous a offert le magistral Les années. Catherine Mavrikakis et Le Ciel de Bay city. Marie-Claire Blais et son Naissance de Rebecca à l'ère des tourments. La superbe intelligence de Suzanne Jacob dans Histoires de s'entendre...

Du côté des hommes, c'est Jacques Poulin qui a gagné le Gilles-Corbeil, et que j'ai relu avec émotion pour l'occasion. C'est Le travail de l'huître de Jean Barbe. C'est Soljenitsyne, le pourfendeur des excès du communisme, qui disparaît au moment même où nous vivons les conséquences des excès du capitalisme. C'est Albert Cossery, qui s'est éteint discrètement, à l'image de son existence. C'est John Giorno au Festival Voix d'Amériques qui nous a dit: «Just not do it, just do it!» C'est ce disque, Douze hommes rapaillés, réalisé par Gilles Bélanger, qui m'a fait brailler dès la première écoute et racheter tous les livres de Gaston Miron que je croise sur ma route.

Et ça continue. De bien belles plumes sont en train de s'aiguiser au Québec, si bien que je n'ai jamais eu autant l'impression d'être à la bonne place au bon moment en ce qui concerne la littérature, en particulier parce qu'une nouvelle génération d'éditeurs passionnés oeuvre en parallèle des maisons établies.

En 2008, j'ai surtout confirmé une impression que j'avais déjà: la littérature n'est jamais bien loin de tout ce qui nous touche. Elle était en politique, en musique, au cinéma, sur le web (j'ai moi-même ouvert un blogue!). Elle était partout même si on ne cesse d'annoncer sa mort, ou la mort du livre. Je n'ai, personnellement, aucune inquiétude. Mais vraiment aucune. D'autant plus que VLB n'a pas brûlé son oeuvre, finalement!