Il est, paraît-il, des cadeaux trop intimes pour être offerts sans créer un malaise. On ne donne pas un parfum à une femme qu'on n'a pas sentie de près, comme on ne donne pas des sous-vêtements à un homme qui n'est pas le sien - surtout devant sa blonde.

Mais offrir un livre, n'est-ce pas d'une audace assez étonnante, quand même? En ce sens qu'en le faisant, on dit presque avoir deviné de quoi l'âme de l'autre est faite?

 

Mon amour de la lecture est suffisamment public aujourd'hui pour empêcher ceux qui me connaissent de succomber à cette audace. Au mieux, ils ne feraient que m'encombrer d'un autre bouquin qui irait se ranger dans l'une de mes bibliothèques déjà très garnies. Je ne reçois plus de livres en cadeau depuis que mon métier est d'en parler...

Offrir un livre, c'est dire à quelqu'un: je crois te connaître, je crois savoir ce que tu aimes, je te donne un livre dans lequel tu passeras peut-être plusieurs heures de ta vie et peut-être que, en le feuilletant, tu penseras aussi à moi, un peu.

Je me souviens de tous les livres que j'ai reçus en cadeau. Dans quelles circonstances, par qui et pourquoi. Je conserve même certains livres que je n'aime pas parce qu'ils m'ont été offerts avec trop de candeur et trop de bonne foi. Quelqu'un m'a déjà dit: «J'ai demandé pour toi au libraire le meilleur livre de tous les temps.» Rien de moins - je ne vous dirai pas le titre, et encore moins le nom du libraire qui a répondu à une telle demande...

Il y a les recruteurs, qui nous donnent en cadeau les livres qui ont changé leur vie en espérant que nous découvrirons comme eux la lumière, sans pour autant se demander où nous en sommes au juste dans nos recherches existentielles. Il y a ceux qui ne prennent aucun risque et qui, année après année, nous fournissent en bouquins selon une idée qu'ils ont de nous et qui n'a jamais changé - d'où, par exemple, un énième livre sur un chanteur que vous n'écoutez plus, et ce qui explique la gloire ininterrompue de certains thèmes ou genres. Il y a ceux qui choisissent des livres dont le titre ou le sujet est comme un petit message sous-entendu ou une déclaration d'amour, peu importe le contenu ou la qualité du livre. Comme par exemple Éloge de l'amitié ou Une maman, c'est pour la vie. C'est toujours touchant (ou culpabilisant). Il y a les maladroits et les pressés, qui font confiance aux coups de coeur des librairies sans trop s'encombrer de savoir si cela concorde avec nos intérêts. Il y a les pragmatiques, qui se rabattent sur les chèques-cadeaux et qui nous laissent libres sans avoir à se compromettre. Va l'acheter toi-même, ton livre!

Bref, la personne qui donne un livre se dévoile autant qu'elle croit dévoiler celui ou celle qu'elle gâte. D'où le caractère intime du présent, beaucoup plus intime que ces huiles de bain tellement à la mode dans les échanges de cadeaux. On cherche souvent la neutralité dans ce type d'échange, mais elle est impossible lorsqu'il s'agit d'un livre. On dit forcément quelque chose en offrant des mots, qu'ils soient ou pas les nôtres. C'est là tout le périlleux et la beauté de la chose. C'est aussi le meilleur exemple de la complexité de l'autre, qui devient plus évidente à mesure que l'on vieillit. On trouve tellement amusant d'acheter des livres pour les enfants, qui en sont à leurs premiers balbutiements de lecteurs; cela nous rappelle notre propre enfance, nous fait retrouver des ouvrages marquants, nous rappelle l'importance de la passation... Donner un livre à un adulte, c'est bien plus compliqué. Il a ses goûts, sa personnalité, son bagage, ses irritations, sa posture, sa sensibilité, ses barrières, ses limites. Le livre doit confirmer ce qu'il est et non contribuer à le former - il est convaincu qu'il n'en est plus là. L'adulte n'apprend pas, il approfondit, c'est connu...

La recette est simple, au fond: il faut vraiment essayer de faire plaisir. C'est le b.a.-ba du cadeau, l'idée même du don. Même si cela signifie pour l'intello d'oser passer à la caisse avec de la chicklit ou pour celui qui déteste les livres d'oser seulement entrer dans une librairie.

Bon Noël à tous, et que votre quête du bon livre soit fructueuse, pour vous et pour ceux que vous aimez!