Quand j'ai vu les premières images de Montréal-Nord en flammes cet été, j'ai d'abord cru qu'elles nous venaient de Los Angeles. Quand j'ai compris que ça se passait chez nous, à Montréal, j'ai réprimé mon envie de me transformer en sociologue de sous-sol - aussi nombreux sinon plus que les sportifs de salon. J'ai fait ce que je fais toujours quand j'ai envie de me prononcer à chaud: plutôt que d'ouvrir la bouche, j'essaie de limiter les dégâts en ouvrant un livre.

La prochaine fois, le feu, de James Baldwin. Le titre était si approprié. Le contenu, encore plus que je ne l'espérais, à l'ombre des élections américaines.

 

Baldwin. Quel homme. Quel esprit. Quel écrivain. Mais il faut vraiment se fendre en quatre pour trouver ses livres dans les librairies de Montréal - une honte, que je souligne ici pour regarnir les rayons de ses titres.

Baldwin nous rappelle, en pleine ébullition des droits civiques auxquels il a contribué: «Le Noir est le personnage-clef de son pays, et l'avenir de l'Amérique est précisément aussi prometteur ou aussi sombre que l'est le sien.»

Il précise: «Le Noir américain est issu de ce pays, qu'il faille ou non s'en féliciter, et n'appartient à aucun autre - pas à l'Afrique, et certainement pas à l'islam. Le paradoxe - et il est effrayant - est que le Noir américain n'a et n'aura d'avenir nulle part, sur aucun continent, tant qu'il ne se résoudra pas à accepter son passé. Accepter son passé, son histoire, ne signifie pas s'y noyer; cela signifie apprendre à en faire bon usage. (...) Et comment faire bon usage du passé du Noir américain? Le prix sans précédent exigé - à cette heure dramatique de l'histoire du monde - c'est de transcender les réalités raciales, nationales et religieuses.»

Je n'ose même pas imaginer la pression sur les épaules de Barack Obama. Dans le contexte actuel, on cherche déjà un sauveur. De par sa nature même de premier Noir candidat à la présidence, il devient non seulement un sauveur économique, mais aussi moral et historique. Le prix sans précédent exigé dont parle Baldwin a certainement grimpé depuis (ah! l'inflation!).

Ce livre écrit en 1962 peut se relire comme s'il avait été écrit hier. Et, au fond, 1962, c'est hier, puisqu'il est dans les mémoires d'un tas de gens qui ont vécu ces temps troublés. Je n'ai pas connu la ségrégation, mais j'ai connu la sensibilisation à la ségrégation - j'ai vu le film Roots des dizaines de fois quand j'étais enfant, à une époque où il n'y avait aucun Noir dans mon quartier entièrement blanc où l'on entendait beaucoup l'expression « Nègres blancs d'Amérique «, et je ne comprenais rien à tant de cruauté. J'écoute Strange Fruit chanté par Billie Holiday, je regarde cette photo où l'on voit des Blancs souriants posant devant les cadavres de Noirs pendus aux arbres, et c'est si proche de nous que j'en frissonne.

Et la victoire de Barack Obama, si près que j'en frétille. Baldwin, qui levait le sourcil de façon ironique lorsque Bobby Kennedy affirmait qu'il était tout à fait possible de voir «d'ici 40 ans» un président noir à la tête du pays, écrit: «Les Noirs de ce pays n'obtiendront peut-être jamais de responsabilités gouvernementales, ne seront peut-être jamais véritablement au pouvoir, mais ils sont indiscutablement en très bonne position pour sonner le glas du grand rêve américain. Cela, bien entendu, est conséquence directe de la nature de ce rêve et du fait que nous autres Américains, quelle que soit la couleur de notre peau, n'osons pas l'examiner de près et sommes fort loin de l'avoir réalisé.»

La banqueroute politique, morale et économique de l'ère Bush a forcé les Américains à l'examiner de plus près, ce fameux rêve devenu cauchemar. Une victoire de Barack Obama serait, à mon humble avis, la réconciliation ultime dont les Américains ont terriblement besoin pour devenir qui ils sont vraiment.