La rentrée littéraire, haute saison de l'alcoolisme mondain. Champagne, vin, bière et petits canapés, tout pour confirmer l'honnête contribuable dans son idée de l'artiste pique-assiette que Harper a bien raison de rationner. En septembre, quand on a les bonnes invitations, il est possible de se lancer dans une cuite de deux semaines sans toucher son portefeuille.

Il faut savoir que ces largesses ne sont pas pour les artistes, mais pour les médias. Il est important de montrer qu'on sait recevoir et que tout va bien, surtout lorsqu'il y a des caméras. Je n'ai pas pu en profiter, en raison d'une grippe atroce...

 

Mercredi, deux lancements se faisaient concurrence, celui des Éditions de l'Homme, qui fêtaient leurs 50 ans à la salle de bal du marché Bonsecours, et de Boréal, au studio Baryshnikov.

L'Homme, c'est une histoire liée à l'évolution de l'édition au Québec, on ne compte plus ses succès en librairie et personne ne conteste son importance dans le milieu. Aussi ai-je été amusée d'entendre son directeur, Pierre Lespérance, affirmer dans son discours que sa maison, en raison de sa vocation populaire, a toujours été snobée parce qu'elle n'a jamais vraiment fait dans le «littéraire».

Dans la chic salle de bal remplie à craquer, Pierre Karl Péladeau, la ministre de la Culture, Christine Saint-Pierre, Bernard Landry et sa charmante épouse, la lectrice de nouvelles Sophie Thibault, le maire Gérald Tremblay et tout ce que la métropole compte de médias. Snobé, vraiment?

La rentrée et ses lancements sont propices à toutes sortes de rencontres étonnantes, encore plus lorsque, comme moi, vous persistez à fumer dans un monde hypocondriaque. Vous n'avez pas idée des occasions que ce vice m'a procurées dans mon métier.

En m'éclipsant de chez l'Homme, j'ai grillé une cigarette devant l'entrée déserte du marché Bonsecours. En fait, je n'étais pas seule. Il y avait aussi Julie Couillard, la vedette de la soirée. Nous cherchions toutes les deux un cendrier introuvable, comme de bonnes citoyennes responsables. J'ai laissé entendre qu'il y en avait peut-être devant les restaurants du Vieux-Montréal. «Ils auraient pu y penser», a-t-elle maugréé, avant d'écrabouiller son mégot dans les escaliers du bâtiment historique.

Cette femme est une bombe. Le nez coulant et la main remplie de Kleenex, j'ai été éblouie par cette évidence. Et son attitude est à des années-lumière de tous ceux que j'ai rencontrés sur le point de faire paraître un livre. Ils sont habituellement remplis d'espoir, convaincus ou inquiets de ce qu'ils ont à offrir. Elle semblait indifférente à la fête. Le regard sombre d'une femme qui en a vu d'autres. «Il fait trop chaud là-dedans», a-t-elle murmuré, d'une voix morne. Cela n'est rien devant le brasier qu'elle risque d'allumer avec sa biographie, lancée comme une grenade en pleine campagne électorale.

L'atmosphère était tout autre au lancement de Boréal, où nous étions accueillis par un clown sur des échasses. Que des gens «littéraires», pas de dignitaires. Des Dany Laferrière, Robert Lévesque, Nathalie Petrowski, Lise Tremblay, Bruno Hébert, Marie Laberge, Nadine Bismuth et, bien sûr, le directeur Pascal Assathiany. Pas de champagne, mais du vin et plus de jeunes écrivains. C'est sur un ton léger qu'on y discutait littérature, politique, potins. Mondanités que certains pourraient juger snobinardes. Mais cela n'a pas la lourdeur inquiétante du pouvoir que j'ai vue dans les yeux de Julie Couillard.