L'artiste chinois Ai Weiwei inaugure samedi à Sao Paulo la plus grande exposition de sa carrière avec des oeuvres emblématiques qui ont fait sa renommée et d'autres inédites qui révèlent sa vision du Brésil.

Raiz Weiwei (Racine Weiwei), rassemble jusqu'au 20 janvier 70 oeuvres, réparties sur les 8000 m2 des quatre étages de l'espace Oca, bâtiment en forme de demi-sphère conçu par l'architecte Oscar Niemeyer au coeur du parc Ibirapuera, principal espace vert de la mégalopole brésilienne.

Peu avant que l'espace soit dévoilé à la presse, Ai Weiwei, 61 ans, plasticien, peintre, sculpteur et photographe, l'une des plus grandes figures de l'art contemporain chinois, déambulait au sous-sol, où ont été installées les oeuvres les plus imposantes.

Parmi elles, l'installation Straight, présentée pour la première fois dans son intégralité. Elle est composée d'une série de poutres d'acier réalisées à partir de 164 tonnes de matériaux récupérés dans les décombres d'écoles du Sichuan, détruites par un violent séisme qui a fait 87 000 morts en 2008.  

Des milliers d'écoliers ont notamment disparu, pris au piège d'établissements qui ne remplissaient pas les conditions de sécurité.  

Cette tragédie a amené Ai Weiwei a dénoncer le régime communiste de Pékin, ce qui lui a coûté cher: en 2011, il a été emprisonné 81 jours et privé de son passeport, puis empêché de quitter le pays pendant quatre ans. Depuis 2015, il réside hors de Chine.  

Les fines poutres de Straight, sont empilées horizontalement, formant un relief qui s'apparente à une sorte de chaîne de montagnes métallique.  

Elles font face à d'énormes racines de pequi-vinagreiro, un arbre typique de la flore luxuriante du littoral de Bahia, dans le nord-est du Brésil.

Extraites d'arbres morts, elles ont été travaillées par Ai Weiwei avec une équipe de charpentiers brésiliens et chinois.

Rêves érotiques

Les murs du sous-sol sont aussi tapissés de pièces de cuir contenant des citations en anglais, la plupart attribuées à des Brésiliens fortement engagés socialement et politiquement.  

On peut lire par exemple ces mots du philosophe et pédagogue Paulo Freire, décédé en 1997: «Se laver les mains face aux conflits entre les puissants et ceux qui n'ont pas de pouvoir revient à prendre parti pour les puissants, pas à rester neutre».

La typographie est inspirée des fers utilisés pour marquer le bétail, conçue par l'auteur brésilien Ariano Suassuna.

Le sous-sol montre également Deux figures, une sculpture représentant le corps nu d'Ai Weiwei couché sur un matelas jonché de graines de pivoine.  

À ces côtés, le corps, nu également, d'une femme noire de Bahia aux longues tresses.

«Ils ne se sont jamais rencontrés», précise le commissaire de l'exposition Marcello Dantas, qui explique que les sculptures ont été réalisées à partir de moules de plâtre, à plusieurs mois d'intervalle, inspirées par des rêves érotiques de l'artiste.

Installation au fil de l'eau

Les étages supérieurs montrent des photos, vidéos et d'autres oeuvres qui retracent l'itinéraire artistique d'Ai Weiwei.  

Parmi elles, Law of the Journey, un canot gonflable noir de 16 mètres de long avec des personnages entassés munis de gilets de sauvetage.

Cette installation, qui représente le drame des migrants en Méditerranée pour lesquels Ai s'est beaucoup engagé, a vogué sur le lac du parc Ibirapuera pendant une semaine, sorte d'avant-première de l'exposition.

Le quatrième étage comprend un parterre géant où on retrouve le célèbre Graines de tournesol, des milliers de graines de porcelaine peintes à la main par des artistes chinois et qui se veut une réflexion sur la production de masse et l'absence d'individualité.  

L'exposition sera inaugurée à une semaine du second tour de l'élection présidentielle au Brésil, avec pour grand favori le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro, dont les prises de position ouvertement misogynes, racistes et homophobes suscitent de vives inquiétudes dans le monde culturel.  

«Quand nous avons commencé à concevoir ce projet, nous n'avions pas la moindre idée que nous allions vivre une telle situation au Brésil, avec une société si divisée, et que les thèmes abordés par Ai Weiwei seraient si pertinents», conclut Marcello Dantas.