L'artiste new-yorkais Jean-Michel Basquiat a tenu à lui seul 20 des 100 meilleures adjudications de l'année et «reste le premier pilier économique du marché contemporain», constate le dernier rapport d'Artprice, qui étudie les évolutions de ce marché sur les douze derniers mois.

Avec un indice en hausse de +1880 % depuis 2000, Basquiat, dont l'oeuvre fait l'objet d'une grande rétrospective à partir de mercredi à la Fondation Vuitton, est le premier sur le podium des artistes les plus cotés dans le monde.

Comment ce jeune taggeur noir américain de Brooklyn, mort en 1988 d'une overdose, qui dénonçait le «same old shit» («toujours la même merde») de la société américaine, a-t-il pu devenir de manière posthume le peintre le plus recherché par les collectionneurs richissimes de la planète, de l'Asie à l'Europe en passant par l'Amérique ?

Le meilleur coup de marteau de l'année est tombé pour une de ses oeuvres, vendue plus de 45 millions de dollars (Flexible en mai 2018).

Un an plus tôt, son oeuvre Untitled passait pour la première fois le seuil des 100 millions de dollars.

Achetée 20 900 dollars en 1984, elle s'est revendue 5300 fois ce montant 33 ans plus tard (soit 110,5 millions de dollars), grâce à l'acquisition du collectionneur japonais Yusaku Maezawa.

C'est la mise en concurrence directe à New York de tous ces acheteurs qui a pu faire grimper les enchères vers ce record inattendu.

La cote de ses dessins affiche aussi une croissance de 2000 % en 20 ans. À la mort de l'artiste, en 1988, ses meilleures oeuvres ne dépassaient pas les 100 000 dollars.

Avec un budget de 100 000 dollars aujourd'hui, seuls de petits dessins sont accessibles, généralement ceux réalisés au feutre, dépourvus de cette couleur si expressive qui offre un surcroît de saveur, relève le rapport d'Artprice.

«Quatre-vingt pour cent de nos interlocuteurs pensent que la construction du prix de Basquiat s'est faite ces 10 dernières années», affirme le président d'Artprice, Thierry Ehrmann, expert du marché de l'art, à l'AFP, qui tient à rectifier cette fausse idée.

«Sa cote s'est construite durablement depuis 1998 - exactement, 10 ans après sa mort spectaculaire - quand, le 12 novembre, la toile Self-Portrait (1982) atteint 3,3 millions de dollars chez Sotheby's à New York, faisant de Basquiat l'artiste contemporain le plus cher du marché».

Depuis lors, les prix n'ont cessé de progresser, comme en atteste l'indice Artprice.

Selon le critique d'art Christian Noorbergen, le succès de Basquiat est dû à son talent propre, et non à la proximité d'Andy Warhol: «Il ne suffit pas de mourir jeune, à l'ombre de Warhol, pour oxygéner l'art».

«Le pathos et la souffrance de Basquiat ont généré des montagnes d'argent, mais au moins ils avaient un contenu et il a su les transcender», souligne un autre expert de l'art, Pierre Souchaud, fondateur du magazine Artension.

L'ascension exponentielle de Basquiat pourrait être symptomatique d'un rejet croissant d'un art froid et conceptuel incapable d'épouser des préoccupations concrètes.

Selon M. Ehrmann, les jeunes générations préfèrent un art contemporain «redescendu sur terre, qui dialogue avec son temps et a repris sa fonction: parler du réel».