Savoir-faire ancestraux et connaissances scientifiques se conjuguent à merveille à la Biennale nationale de sculpture contemporaine de Trois-Rivières. Sa 8e édition, intitulée Trajectoire des sens - Art et science, amène les visiteurs à découvrir des oeuvres surprenantes. Qui éveillent les sens.

Cinétique, robotique, numérique, acoustique. Les sciences croisent l'art plus que jamais en notre ère d'anthropocène numérique. Pour l'illustrer, la commissaire Émilie Granjon a réuni les travaux de 16 artistes dont les oeuvres sont présentées à Trois-Rivières, à Victoriaville, à Montréal et à Lévis. Des oeuvres riches de sensations et qui rafraîchissent le registre de la sculpture contemporaine.

Oubliez le marbre, le bronze, la céramique ou le bois comme base sculpturale. Cette biennale décoiffante verse dans l'installation, les nouvelles technologies et l'expérimentation.

À Trois-Rivières, la Galerie d'art du Parc expose six artistes. Nerd de l'art numérique, David Clark y présente une installation en neuf éléments avec une trame narrative qui évoque l'explosion historique d'Halifax, la dernière guerre mondiale, le colonialisme, l'industrialisation et les tensions internationales. Des sujets graves, mais Clark a aussi réalisé une murale qui représente un match de cricket perturbé par l'irruption d'un nuvite sur le terrain!

Louise Viger

La biennale célèbre la mémoire de la sculptrice Louise Viger, qui s'est éteinte en juin, avec son oeuvre en bois Je m'attarde parfois auprès des autres endormies, installée dans le grenier de la galerie. Elle est constituée par deux mannequins à la finition impeccable. L'un, muni d'un masque de fer, est assis sur un banc. Il pose sa main gauche sur la tête de l'autre qui repose sur la cuisse du premier. Une scène de tendre complicité, d'ouverture et de sérénité.

Matthew Shlian

Créée en papier plié, l'oeuvre de Matthew Shlian, The Night Before the Cup Walked, est notre premier coup de coeur de cette biennale. Une oeuvre faite de 1024 cônes dorés formant une vague. Une sculpture qui a nécessité une patience infinie et qui fait penser à une immense tarte au citron! L'artiste du Michigan expose aussi six petites oeuvres de pages cartonnées empilées et sculptées qui révèlent des formes gracieuses et énergiques. Un bonheur de précision et de talent.

Nous avons aussi particulièrement apprécié Sewing Machine Orchestra, de Martin Messier, un orchestre de 12 machines à coudre qui font le bruit d'un vieux train à vapeur, celui de chevaux et celui d'un moteur de petit bateau. Une composition musicale accompagnée d'une animation lumineuse.

Dans le même genre de recherche sur le potentiel sonore des objets, nous avons retrouvé avec plaisir les savants embrouillaminis de Jean-Pierre Gauthier, avec Asservissements, série d'archets et de tiges métalliques robotisés qui créent une forme musicale contemporaine. À savourer en prenant son temps pour se laisser imprégner par cette orchestration originale.

Béchard Hudon

La musicalité des ustensiles est aussi à la base de La chute des potentiels que Béchard Hudon présente au Centre culturel Pauline-Julien. Le duo y a rassemblé des pots, des vases et des écuelles en verre qui deviennent des instruments grâce à des cannes à pêche munies de vibreurs qui viennent heurter les objets en verre. Une oeuvre contemplative.

Au musée Pierre-Boucher, à côté des belles oeuvres aux allures tridimensionnelles de Pierre Landry, Alice Jarry propose une installation sous cloches, Dust Agitator, une étude cinétique sur la poussière, un travail de mise en relief de la volatilité et du potentiel sédimentaire que peut avoir le verre quand il est réduit en fines particules. Une installation complexe mais peu spectaculaire faite de cylindres qui tournent lentement dans une atmosphère poussiéreuse.

Photo fournie par la galerie CIRCA

Nathalie Miebach devant une partie de son installation The Burden of Every Drop, présentée chez Circa dans le cadre de la 8e BNSC

Annie Thibault

Dans l'atelier Silex sont installées trois des oeuvres les plus remarquables de la biennale, celles d'Annie Thibault, qui utilise depuis plus de 20 ans le potentiel artistique des moisissures. L'artiste diplômée en sciences pures a recréé sa Chambre des cultures pour laquelle elle fait pousser des champignons, cette fois-ci des pleurotes sur des structures verticales et sur un candélabre. Un concept odoriférant qu'elle a fait connaître au Canada et à l'étranger.

Au musée POP, à côté d'un intéressant accrochage de photographies de cordes à linge du monde entier (Linda Turgeon), Brandon Vickerd expose Challenger, une sculpture issue de la «collision» entre une boîte aux lettres de Postes Canada et la trappe d'évacuation d'une navette spatiale! Un choc littéral entre art, communication et science.

De son côté, le Centre d'exposition Raymond-Lasnier renferme cette année les oeuvres de Diane Landry et de Caroline Gagné. L'installation Chute, de Diane Landry, est captivante. Son concept d'hydroénergie développé à partir d'une soixantaine de petits cartons motorisés et d'une image filmée superposée permet au visiteur de visualiser une chute et un personnage faisant de la balançoire. Un travail délicat et réussi, contrairement à son installation Le nième continent, censée nous interpeller sur le problème de la pollution des océans par les déchets plastiques. Mais les sculptures articulées constituées de roues, de règles et de bouteilles de plastique n'ont pas la force émotionnelle et didactique à laquelle on s'attendrait.

Dans la salle contiguë, Caroline Gagné expose une sculpture en alu découpé disposée sur des tréteaux métalliques et parcourue de sons et de vibrations. Des sons provenant de l'enregistrement d'une branche frottant contre la structure d'une maison. Conceptuel, zen, mais pas sensationnel.

À Montréal

Finalement, c'est chez Circa, dans l'édifice Belgo, que l'on a trouvé notre deuxième coup de coeur, soit l'installation colorée The Burden of Every Drop, de l'Américaine Nathalie Miebach, qui utilise des données physicochimiques. Un travail de vannerie et d'assemblages pour parler de changements climatiques, de météo et d'écologie. Un vocabulaire visuel complexe et ludique (petits parapluies, chaises miniatures, minimoulins, références au jeu de dés, petits bateaux) qui illustre les approches empirique, pratique et scientifique de la climatologie.

L'installation est accompagnée de «cartes marines», de chants, d'histoires de bateaux coulés et d'un ouragan meurtrier, Noël, qui avait atteint la Nouvelle-Écosse en 2007 et dont les données deviennent une pièce musicale qu'on écoute au casque. Un délire artistique bien maîtrisé mêlant artisanat et contemporanéité, légendes, certitudes et doutes, le tout mis en scène avec talent et ingéniosité. À ne pas rater...

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La 8e Biennale nationale de sculpture contemporaine, jusqu'au 7 septembre (sauf chez Circa, jusqu'au 1er septembre). Info: bnsc.ca

Photo Justine Bellefeuille, fournie par la BNSC

Candélabre (La Chambre des cultures, déviance et survivance), 2018, Annie Thibault, installation sculpturale