Je suis toujours impressionné de voir comment autant de petites villes et de villages du Québec arrivent à se constituer, moyennant deux bouts de ficelle, un musée racontant l'histoire de leur coin et de ses bâtisseurs. De l'Abitibi à Charlevoix en passant par le Saguenay et l'Outaouais, partout on trouve de ces lieux improvisés dans d'anciennes écoles ou de vieux hangars. Je m'empresse de rendre hommage ici aux sociétés d'histoire et à leurs artisans qui, bien souvent, portent à bout de bras ces projets.

J'ai vu cette semaine un magnifique exemple de ce travail autour de la mémoire et de l'histoire en allant visiter le Musée des communications et d'histoire de Sutton. Installé dans un ancien bâtiment de ferme, l'endroit renferme une foule d'objets qui témoignent du passé de cette charmante ville qui fait partie de la région touristique des Cantons-de-l'Est.

Le directeur du musée, Richard Leclerc, n'était pas peu fier de me faire visiter le lieu et de me parler de son coin de pays. Il m'a raconté que si Sutton s'est aussi bien développé, c'est parce que le maire qui veillait sur la ville en 1866 a offert 66 000 $ pour obtenir le passage du chemin de fer et la présence d'une gare au détriment de Dunham, situé non loin. «Cette somme représentait trois fois le budget de la municipalité à cette époque», m'a dit M. Leclerc. L'histoire ne dit toutefois pas si le geste de ce maire fut héroïque ou constituait un pot-de-vin...

Je me suis rendu au Musée de Sutton parce qu'on y présente cet été une exposition consacrée à quelqu'un qui a longtemps vécu dans la ville, le compositeur François Dompierre. J'ai eu l'occasion de vous dire toute l'admiration que j'ai pour ce prolifique et talentueux musicien lors d'une entrevue que j'ai faite avec lui au moment de la reprise de Demain matin, Montréal m'attend, en septembre dernier.

Dompierre a gentiment accepté de me rencontrer au musée. C'est donc en sa compagnie que j'ai remonté le fil de sa carrière grâce à des objets, des photos, des partitions et des extraits vidéo qui témoignent de son extraordinaire parcours.

«Je ne suis pas très branché sur le passé. Mais j'avoue que de voir toutes ces choses rassemblées dans une même pièce me fait prendre conscience de tout ce que j'ai fait.» 

Et il en a fait, des choses, le «p'tit gars de Hull». À commencer par un nombre impressionnant de musiques de film telles que Délivrez-nous du mal, IXE-13, O.K. ... Laliberté, YUL 871, La Gammick, Bonheur d'occasion, Mario, Le matou, Jésus de Montréal, Le sang des autres, Le déclin de l'empire américain, Les portes tournantes et plusieurs autres.

En regardant ensemble des extraits de ces films, je lui ai dit à quel point j'adorais la musique de Tiens-toi bien après les oreilles à papa (Dominique Michel et Yvon Deschamps) et que j'écoute le thème principal pour me remonter le moral. «Ah oui? m'a-t-il dit, étonné. Ce ne fut pas un très grand film. Jean Bissonnette était le premier à le reconnaître. À la blague, il disait: "Bonjour, je suis Jean Bissonnette, le réalisateur qui a fait Tiens-toi bien après les oreilles à papa."»

Ne pas se prendre au sérieux et s'entourer de gens qui ne se prennent pas au sérieux, voilà sans doute ce qui a guidé François Dompierre toute sa vie. C'est ce qui explique peut-être sa fidélité à certaines personnes avec lesquelles il a souvent travaillé durant sa carrière. Jacques Godbout en fait partie.

Ne demandez pas à François Dompierre de casser du sucre sur le dos d'un artiste, il en est incapable. En revanche, il sortira ses mots du dimanche pour évoquer les moments qu'il a connus en compagnie de quelques géants, dont Félix Leclerc, Monique Leyrac, Pauline Julien et Denys Arcand.

Parmi les partitions musicales offertes au public se trouvent celles du Petit Concerto de Saint-Irénée, une oeuvre qui sera interprétée demain au Domaine Forget dans le cadre d'un concert qui rendra hommage à François Dompierre (le concert sera repris le 22 septembre à la salle Bourgie). C'est l'Orchestre de chambre McGill et le pianiste Serhiy Salov qui interpréteront cette oeuvre, en la présence du compositeur qui se permettra quelques incartades durant le concert.

«Moi, je ne joue pas ça, c'est trop compliqué», me dit Dompierre en riant. Je lui demande alors si c'est possible pour un compositeur d'écrire pour un instrument dont il ne joue pas ou qu'il maîtrise mal. Tout en m'expliquant que c'est tout à fait possible, il se met au piano qui trône au milieu de la salle d'exposition et se met à me jouer un extrait de Pavane pour une infante défunte.

«Ravel la jouait comme cela au piano», me dit-il. Il joue le thème de l'oeuvre comme le ferait un enfant de 8 ans. «Ce sont les grands musiciens qui ont ajouté cette intériorité qu'on lui connaît aujourd'hui», explique-t-il.

Plusieurs fois, au cours de notre discussion, Dompierre ne pourra s'empêcher d'aller vers le piano pour illustrer ses propos.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Francois Dompierre au piano, enfant

«Ma force a toujours été l'improvisation. J'ai toujours aimé ça. Je faisais damner mes professeurs avec ça lorsque j'avais 8 ans. On m'apprenait une pièce et je la jouais à ma façon.» 

Parlant de son enfance, on voit dans l'exposition un extrait d'une partition de La petite cantate de Noël, une oeuvre qu'il a composée à la demande de son père lorsqu'il avait 12 ans. Plus loin, on voit la pochette de son premier disque en tant que chanteur. «J'avais signé avec Sélect. Charlebois, Létourneau et moi avons lancé tous les trois un disque la même année, en 1964.»

Il est évidemment question du disque sur lequel figure son immense succès Saute-mouton et de la pièce Les Glorieux, qu'il a composée à l'occasion du centenaire du Canadien de Montréal et qui a été interprétée en 2008 par l'OSM sous la direction de Kent Nagano.

Une armoire vitrée renferme les trophées et médailles reçus au fil des décennies. Disons que le présentoir est bien rempli. «Toutes les récompenses font plaisir. Elles compensent les claques sur la gueule que l'on reçoit parfois. Mon problème, c'est que je n'ai jamais été à la bonne place pour certaines personnes. J'étais trop sérieux pour les populistes ou trop populiste pour les élitistes. Mais ce qui compte, c'est que j'ai fait ce que j'ai voulu.»

François Dompierre homme libre, compositeur libre, c'est d'une évidence. Ça se voit. Ça s'entend, surtout.

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Exposition François Dompierre, 50 ans de musique, au Musée des communications et d'histoire de Sutton jusqu'au 8 octobre.

Concert Dompierre en cinémascope à la salle Bourgie le 22 septembre à 19 h 30.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La Petite Cantate de Noël, que François Dompierre a composée lorsqu'il avait 12 ans.