Rafael Lozano-Hemmer est une des vedettes de l'art international. Exposé, collectionné et récompensé partout sur la planète, le Montréalais d'origine mexicaine fait l'objet, à compter de jeudi au Musée d'art contemporain, d'une présentation de sa production d'installations interactives depuis 10 ans.

Connecter le monde à partir de Montréal 

Depuis 15 ans, c'est à Montréal que Rafael Lozano-Hemmer et son équipe créent, dans la plus grande discrétion, des installations hyper sophistiquées présentées dans des institutions prestigieuses du monde entier. Si l'artiste a choisi la métropole, c'est qu'il s'agit du meilleur endroit pour produire de l'art médiatique, dit-il en entrevue avec La Presse.

Rafael Lozano-Hemmer ne sait ni dessiner ni peindre. Pourtant, il est un des artistes les plus importants de notre temps. Le Montréalais né à Mexico en 1967 a bâti sa réputation en combinant son bagage scientifique à ses réflexions humanistes pour créer des oeuvres qui font appel à la vidéo, à l'électronique, à la lumière et à l'intelligence artificielle.

La programmation est à la source de son art expérientiel. Épaulé par ses collaborateurs, il jongle avec des circuits électroniques, des périphériques de contrôle en réseau, du graphisme 3D, de l'impression 3D, de la réalité virtuelle, des matrices DEL, des capteurs/senseurs, des téléphones intelligents et des technologies audiovisuelles de pointe. Tout ça pour élaborer une expérience interactive avec des participants qui ne réalisent pas la complexité de sa conception. C'est la signature Rafael Lozano-Hemmer.

Cela donne des créations spectaculaires, comme on l'a vu à Montréal en 2011 lors de la Triennale québécoise, avec des projecteurs puissants manipulés par des passants sur la place des Festivals ou au Madison Square Park de New York, en 2008, où l'intensité de faisceaux lumineux dépendait du rythme cardiaque des visiteurs. Des oeuvres d'architecture relationnelle qui transforment l'espace urbain.

Rafael Lozano-Hemmer expose en permanence à Londres, Boston, Santa Fe, Nashville, Hobart (Australie), Québec (au MNBAQ) et Montréal (à la Maison Manuvie et au Centre Phi). En même temps, il a ces jours-ci des expos temporaires à Paris, Séoul, Cologne, Leipzig, Boston, Raleigh et Anchorage ! Cinquante collections possèdent ses oeuvres, dont le Guggenheim de New York, le Hirshhorn de Washington et la Tate de Londres. 

Une filiation enrichissante 

D'origine mexicaine et allemande, Rafael Lozano-Hemmer a vécu en Espagne avant de venir étudier au Canada, à l'âge de 17 ans. Ses racines (un grand-père inventeur, une grand-mère zapotèque, un oncle poète et des parents propriétaires de boîtes de nuit) ont façonné son caractère. 

«Les clubs de mes parents, qui s'ouvraient à la diversité alors que l'homophobie était courante au Mexique, m'ont influencé, car ce sont des endroits de lumière où l'on peut être quelqu'un d'autre. Et j'aime cette idée d'altérité.»

À cette époque, il voulait être chimiste. Ses parents (un père qui s'est marié trois fois et une mère qui s'est mariée six fois!) ont encouragé sa fibre scientifique. Il s'est alors lové dans l'univers des probabilités, de l'approche systématique et de la rationalité.

Lozano-Hemmer est un intellectuel de l'art technologique, inspiré par son oncle, Octavio Paz. Du Prix Nobel de littérature 1990, il a compris l'importance de la diffusion. Si le poète mexicain voulait réunir les gens autour des mots, son neveu a choisi de le faire avec l'art médiatique.

Il raconte qu'avec l'homme de lettres, il parlait de ses lectures d'auteurs post-structuralistes. C'était sa période philosophique à Montréal. «J'étais un grand consommateur de la French theory, dit-il. Cela a contribué à mon travail, en ce qui a trait à la connectivité, aux algorithmes, à la virtualité qu'évoque Gilles Deleuze.»

Pendant ses études en chimie, à Victoria puis à l'Université Concordia, il a fréquenté chorégraphes, compositeurs, acteurs et écrivains, ce qui l'a mené sur la voie de l'art. Il a présenté une performance à la galerie Articule en 1988, a dirigé du «théâtre électronique» avant d'aller enseigner à Madrid en 1992.

Sa femme, Susie Ramsay, étant diplômée en chorégraphie de l'UQAM et Montréal étant plus propice à la performance et à la danse contemporaine, ils ont décidé de revenir à Montréal, où ils ont fondé leur studio, Antimodular Research, en 2003.

Connecter en révélant 

Dès 1992, Lozano-Hemmer a mis la technologie au service de l'art. Tension superficielle consistait en un oeil humain qui suivait toutes les personnes qui passaient devant lui. Vingt-six ans plus tard, les visiteurs «dialogueront» dès jeudi au MAC avec Pulsations en spirale, une gerbe d'ampoules qui enregistrera leur rythme cardiaque.

«J'essaie de créer des oeuvres qui permettent aux gens de vivre une expérience qui leur est propre, dit-il. Le défi de l'artiste est de créer des parenthèses éphémères dans la vie des gens, des lectures excentriques par rapport à la logique ambiante.»

L'expo présentera aussi au MAC Respiration circulaire vicieuse, une installation qui invite le visiteur... à s'intoxiquer en respirant de l'air vicié! Une oeuvre sur l'importance d'un environnement sain.

«L'art n'est pas seulement question de formes et de couleurs, c'est aussi le moyen d'aborder des questions graves», dit l'artiste dont l'art relationnel aborde la vidéosurveillance, le pouvoir de l'internet, les atteintes aux droits de la personne ou encore l'idée de coprésence.

«Mon travail décrit le langage de notre temps qui nous permet d'écrire de nouvelles histoires», dit Rafael Lozano-Hemmer. 

En osmose avec Montréal 

Très attaché à son ascendance latine, l'artiste est en osmose avec Montréal. Il ne créerait nulle part ailleurs. «Montréal est le meilleur endroit au monde pour produire de l'art médiatique. À cause de ses quatre universités, des étudiants en jeux vidéo capables de travailler avec nous, mais aussi à cause de sa diversité.»

«Dans mon équipe de 14 personnes, moitié hommes, moitié femmes, six pays sont représentés. Et la qualité de vie ici facilite l'intégration.»

Il pourrait produire des éléments de ses créations pour 10 fois moins cher au Mexique, mais pas dans des conditions optimales, dit-il. «Mes programmateurs pourraient gagner deux fois plus aux États-Unis, mais Montréal est parfait pour les conserver. Ils tombent amoureux de la ville et apprennent le français! Et je travaille avec Pierre Fournier, un maître de l'acier et de l'aluminium qui collabore avec Patrick Bernatchez ou Michel de Broin. Je ne pourrais pas trouver quelqu'un d'aussi bon ailleurs dans le monde.»

Le social au coeur de son avenir 

Rafael Lozano-Hemmer dit essayer de se réinventer à chaque création, avec l'aide, parfois, de généreux mécènes, comme la fondation turque Borusan Contemporary qui a acquis 12 de ses pièces. L'artiste a parfois des rêves de grandeur pour son studio. «Comme Olafur Eliasson et ses 100 assistants à Berlin!», dit-il.

Mais il garde les pieds sur terre. «Je ne veux pas devenir une usine. Au contraire, j'aspire à être moins prolifique, à créer plus dans la tradition des longues, lentes et silencieuses recherches intellectuelles. Et je voudrais faire du travail social, sur des questions comme les réfugiés, l'éducation, les personnes opprimées. Car je suis un citoyen et c'est une des responsabilités de l'artiste.»

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Au Musée d'art contemporain de Montréal, du 24 mai au 9 septembre.

Photo Mariana Yañez, fournie par Rafael Lozano-Hemmer

Respiration circulaire vicieuse (Vicious Circular Breathing) a été exposée en 2016 au MUAC de Mexico, au Mexique.